samedi 28 janvier 2012

Deux poèmes du XXIème siècle

Ce sont deux poèmes écrits – en français pour le premier et en corse pour le second - par deux poètes corses appartenant à deux générations différentes , Jean-François Agostini et Marcu Biancarelli, et qui furent publiés en 2006 pour le premier et en 2002 pour le second.
Deux poèmes qui me semblent illustrer , chacun à leur manière, le fantasme universel et intemporel de la rencontre avec une belle et mystérieuse inconnue - la fascination du poète et/ou les jeux des regards - , largement célébré dans la littérature et dont on retrouve des échos plus prosaïques jusque dans les petites annonces de Libération...
Deux poèmes qui se déroulent dans un aéroport, lieu de transit intense, - preuve, s'il en était besoin, que la poésie insulaire sait intégrer des éléments de notre vie moderne - dans une sorte « d'entre- deux », un seuil magique hors du temps et de l'espace, où l'attente solitaire est propice à l'observation et à la rêverie, à une certaine disponibilité poétique.
Deux poèmes qu'il ma semblé également intéressant de rapprocher du fait de leur différence formelle témoignant de la variété de cette « production poétique » insulaire.

Ce fut donc ce poème savoureux découvert sur la toile - où je furetais après ma lecture de C'est ou de Jean-François Agostini – qui me remit d'emblée en mémoire un poème touchant de Marcu Biancarelli lu deux ans auparavant dans une Anthologie de la poésie corse prêtée par FXR Renucci (que je mis ensuite à contribution pour le retrouver ).


Aéroport. Salle d’attente. Vol

----- AR1821.

Un poème s’assoit. Hautement

croisées : ses jambes - sans bas ni gêne.

Être son hôte oui être son hôte

une heure en l’air. De son regard ver-

tigineux ôter le dard et comme

un astronaute en lune de miel,

la désabeiller, puis----- voler vers...


Jean-François Agostini, publié en février 2006
(Note de l'animateur du blog : les tirets présents dans le texte sont en fait des blancs dans le texte original, la disposition des mots est importante chez Agostini, je n'arrive pas à lui rendre justice sur ce point, désolé).


J'aime la concision intense et lumineuse de ce poème, une sorte de flash fixant dans un même instantané une apparition se confondant avec le poème, comme si le regard et l'écriture poétique marchaient de pair. Et le poète ne se contente pas de jouer sur les mots à des fins ludiques, il les déshabille – désabeille – comme une femme, il saisit, au-delà de ces jambes croisées, l'ouverture, l'abîme d'un regard et ménage par ses césures ou ses blancs l' accès à un ailleurs : ver-/vers ...

Barcilona

Aeruportu du Barcilona...
Eru di passaghju
Cù una barba di trè ghjorna
È a pena à u cori.

I ramblas ùn li vidisti mai
Ma mancu avia vodda.
Eru postu à pusà, postu à aspittà
L'ori è l'ori, un aviò tricaticciu.

Ci fù 'ssa donna bella è bruna
Un mantu subra ad idda
U so capeddu in manu
Chì si missi accantu à mè
È mi surusi.

T'aghju sempri in l'aeruporti
'Ssa tencia d'addispiratu,
'Ssi scarpona à i peda
È u mo saccu in coghju.
Una tirata chì mi faria passà
- par quidda ch'ùn sà -
Pà un avvinturieri.

Piacciu à i donni
In l'aeruporti.

Era taliana, o era spagnola
Una latina in partanza
Pà Vienna è u Centrauropa,
In partanza com'è tutti 'ssi donni
Scruchjati trà dui avviò
Sempri in partanza.

Quattru paroli, dui surisa,
Mancu u tempu di sapè nudda
For' di u disideriu
Putenti è fughjittivu
Chì duvia passà
Pà una stunda intesa
À traversu à i so ochja neri
È i mei senza culori.

A so bucca fù una chjama
In un filmu chì no fecimu
Cinqui minuti
U me corpu in u soiu
U smènticu di tuttu
I viti trà parèntesi
U tempu di coddaci
Quissa stodia difesa.

U disideriu palisatu
A verità sìmplicia
Pà u pocu tempu à sparta
Pà l'eternità à vena
Senza pudella sprima.

S'arrizzeti è partisti
I so anchi lighjeri
Troscia è si sintia :
Un ùltimu surisu
Unu sguardu finali
Fù tutti i donni à tempu
Innanzi di spariscia
Trà un addiu è l'altru.


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Barcelone

Aéroport de Barcelone...
J'étais en transit
Avec une barbe de trois jours
Et le coeur lourd.

Je n'ai pas vu les Ramblas,
Je n'en avais même pas envie.
J'étais assis et j'attendais
Des heures entières un avion en retard.

Il y eut cette femme belle et brune
Elle avait un manteau
À la main un chapeau
Elle s'assit à côté de moi
Et me sourit.

Dans les aéroports j'ai toujours
Cette gueule de désespéré
Ces souliers aux pieds,
Et mon sac de cuir.
Une allure qui me ferait passer
- aux yeux d'une ignorante -
Pour un aventurier.

Je plais aux femmes
Dans les aéroports.

Etait-elle italienne ? Espagnole ?
Une latine en partance
Pour Vienne et l'Europe centrale.
En partance comme toutes ces femmes
Croisées entre deux avions
Toujours en partance.

Quelques mots, quelques sourires,
Pas le temps de savoir
Autre chose que le désir
Violent et fugitif
Qui devait passer
Une seconde intense
Dans ses yeux noirs
Et les miens sans couleur.

Sa bouche fut un appel.
Dans le film de cinq minutes
Qui se déroula dans nos têtes,
Mon corps dans le sien.
L'oubli de tout,
Nos vies entre parenthèse,
Le temps de recueillir
Cette histoire interdite.

Le désir mis à nu
La simple vérité,
Rien qu'un instant à partager
L'éternité à venir
Sans pouvoir l'exprimer.

Elle se leva et je partis,
Ses jambes étaient légères,
On la sentait humide
Un ultime sourire,
Un dernier regard,
Et elle fut toutes les femmes en une
Avant de disparaître
Entre deux adieux.

Parechji dimonia (Divers démons), Marcu Biancarelli (Albiana, 2002), traduction de FM Durazzo


Il s'agit d'un poème narratif au lyrisme personnel comportant plusieurs strophes. Un poème qui s'épanche, lui, comme un «filmu chi no fecimu cinqui minuti» et dont le sujet semble la vie amoureuse du poète, joies et peines données par une femme ou par les femmes, par «tutti i donni à tempu», réelles ou rêvées, venant du ciel ou de l'enfer, le héros ayant sans doute à lutter contre ses contradictions et ses propres démons (en référence au titre du recueil Parechii dimonia dont est tiré ce poème, et que, je le précise, je n'ai pas lu)...
Notre poète narrateur semble bien mal en point au début du texte avec «'Ssa tencia d'addispiratu», plutôt looser pathétique retournant chez lui «a pena à u cori» que «avvinturieri », pas vraiment un Don Juan car il a visiblement quelques problèmes pour plaire aux femmes:
«Piacciu à i donni
In l'aeruporti.»
et pour les retenir :
«In partanza com'è tutti 'ssi donni /...Sempri in partanza».
C'est une rencontre à la fois réaliste et irréelle avec une femme dont le regard semble le faire renaître et qui, même si le poète semble se satisfaire de ce moment bref mais intense qui lui est donné, n'exclut pas le désir de savoir autre chose que «...u disideriu /Putenti è fughjittivu»...


Et pour terminer, revenons sur la fascination des deux poètes pour ces belles inconnues, en citant Baudelaire :

A une passante


La rue assourdissante autour de moi hurlait.

Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d’une main fastueuse

Soulevant, balançant le feston et l’ourlet ;

Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son œil, ciel livide où germe l’ouragan,
La douleur qui fascine et le plaisir qui tue.



Un éclair…puis la nuit ! – Fugitive beauté,
Dont le regard m’a fait soudain(ement) renaître, 

Ne te verrai-je plus que dans l’éternité ?



Ailleurs, bien loin d’ici ! trop tard ! jamais peut-être !
Car j’ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,

Ô toi que j’eusse aimé, ô toi qui le savais !

Baudelaire (1860, « Tableaux parisiens » 1861)

(Les Fleurs du mal)

Auteur du billet : Emmanuelle Caminade, animatrice du blog "L'or des livres".

(Note de l'animateur du blog : Vous trouverez d'autres billets sur la poésie de Jean-François Agostini sur ce blog ainsi que sur "L'or des livres", ainsi que sur les livres de Marcu Biancarelli.)

mercredi 25 janvier 2012

Salons de la Corse dans les Bouches-du-Rhône : 2012

C'est le moment de profiter, de bien des choses, certes (alimentation, peinture, concerts, conférences, manifestations, repas, artisanat, etc.) , mais aussi de l'occasion de voir la production littéraire insulaire s'exposer et se vendre dans le département des Bouches-du-Rhône :

- à Marseille, à l'initiative de la Maison de la Corse, le samedi 28 et le dimanche 29 janvier 2012 : cliquer ici pour en savoir plus.

- à Aix-en-Provence, à l'initiative de l'Amicale corse de cette cité, le samedi 4 et le dimanche 5 février 2012 : cliquer ici etc.

- à Aubagne, à l'initiative de l'association Kallisté, le vendredi 10, le samedi 11 et le dimanche 12 février 2012 : cliquer ici (et ensuite sur l'image "Journées corses d'Aubagne", donnant accès au programme en pdf).

Evidemment un grand merci aux éditeurs insulaires pour faire ce voyage régulier sur le Continent !

Alors, si après cela, il n'y a personne pour avoir envie de parler de ses lectures sur les sites, forums et blogs... Car j'aime bien le silence moi aussi, mais juste après la discussion.

Justement, quelques considérations générales sur la littérature corse (ou en Corse), par une blogueuse émérite (animatrice de "L'or des livres"), interviewée par Norbert Paganelli : ici, sur Invistita, bien sûr. A discuter non ?

(Pour finir, sans finir, ce billet : quel est le meilleur livre corse, toutes langues confondues, publié en 2011 ?... : "Albe sistematiche" de l'auteur-compositeur-interprète Pierre Gambini !... Comment ça vous n'êtes pas d'accord ?)

samedi 21 janvier 2012

Olivier Durand répond à Jean Chiorboli : il est question de langue corse

C'est avec un grand plaisir que je publie la réponse d'Olivier Durand, linguiste travaillant en Italie, à un article de Jean Chiorboli, linguiste travaillant à l'université de Corse. Cet article faisait une recension critique de l'ouvrage d'Olivier Durand consacré à l'étude de la langue corse : "La lingua corsa: Una lotta per la lingua" (éditions Paideia, 2003).

Si vous voulez lire l'article de Jean Chiorboli, voir ici le billet du 25 avril 2010, où je l'ai publié avec l'accord de l'auteur bien sûr.

La réponse d'Olivier Durand me paraît à la fois précise, polémique et très vivante, voire drôle. Je me suis régalé à la lire, j'espère qu'elle nourrira avec profit une discussion, ou permettra des mises au point (pourquoi pas ?).

Un grand merci donc à Olivier Durand pour cet envoi. Bonne lecture.

Bien qu’étant peu enclin à me prêter aux joutes oratoires qui, dans les régions du Globe où sévit une Question de la Langue, tournent facilement à la pantalonnade villageoise, il me paraît opportun de répondre au compte-rendu que mon ami Jean Chiorboli a bien voulu consacrer à mon ouvrage de 2003, La lingua còrsa. Una lotta per la lingua, publié à Brescia aux éditions Paideia, ne serait-ce que par égard envers le public de ce blog. Car en effet, à en croire JC (Jean Chiorboli, puisque ce dernier me fait l’amitié de m’appeler OD), le personnage Olivier Durand apparaît décidément comme un casseur d’assiettes pontifiant, arrogant, et railleur, qui traite la langue corse comme une serpillière de toilettes publiques.


Je découvre ainsi, au fil des « commentaires » qui suivent l’article de JC, que mon nom « hante » bien des consciences, et qu’il a été jusqu’à inspirer une ou deux pages d’un roman satirique de ce cher Ghjacumu Thiers, mon auteur corse contemporain préféré ! J’en suis fort flatté. Et, bien sûr... à charge de revanche, « o quell’omu » !

On sait qu’Olivier Durand a dit des choses très vilaines, mais il y a fort à parier que ceux qui ont réellement lu son livre doivent se compter sur les doigts de la main.


Je trouve cependant que la lecture de JC a été çà et là quelque peu superficielle et qu’il a donné une interprétation légèrement faussée des choses. C’est pourquoi je vais procéder en répondant point par point, avant de m’étendre brièvement sur quelques considérations générales.


• Avant toute chose, JC avoue placidement avoir basé ses fiches de lecture sur deux versions provisoires que je lui avais confiées, comme cela se fait entre collègues, et non pas sur la version définitive. Les renvois aux pages s’en trouvent totalement décalés, et certains passages qu’il cite ou évoque sont aujourd’hui absents de la version définitive, version qui doit d’ailleurs beaucoup au dialogue avec lui, chose dont je lui sais gré.


• Je suis fort aise d’apprendre que « la polémique provoquée en Corse par la parution de l’ouvrage est loin d’être apaisée » : non pas par goût pour la polémique en elle-même, mais parce que, jusqu’à présent, je suis resté dans l’ignorance la plus totale totale de ce qui a pu être dit à propos d’un livre auquel j’ai travaillé avec beaucoup de passion.


• Il paraît que « D’ordinaire les linguistes commencent par une description linguistique avant d’en tirer éventuellement des conclusions au plan extralinguistique ou glottoplitique. L’auteur [...] adopte une démarche inverse ». Je demande pardon : dans la prochaine édition, je mettrai la première section de mon ouvrage après la seconde.


• D’une façon générale, mon livre, rédigé en italien, s’adressait à un public de spécialistes italiens : mon propos était celui de mettre ces derniers au courant de la question linguistique en Corse, sujet désormais tabou en Italie, depuis que l’Histoire a su donner un coup de pied aux fesses bien ajusté aux promesses de Mussolini de se «réapproprier» la Corse. Je n’excluais certes pas que le livre pût être lu également par des spécialistes non italiens, voire corses en l’occurence, mais je constate que certains passages ont été mécompris par « erreur d’optique ».


• Ce n’est donc pas moi qui me demande « pourquoi les Corses “se sentent français” mais “refusent catégoriquement de reconnaître qu’ils sont aussi italiens, tout au moins par la langue, la culture et la géographie” ». En tant que Corse moi-même, je sais très bien – et n’ai à l’expliquer à aucun autre Corse – pourquoi « je me sens français » et pourquoi je n’ai aucune raison de « me sentir italien ». Ce sont les Italiens qui se le demandent, et j’explique par la suite à mes lecteurs italiens, longuement et à plusieurs reprises, pourquoi nous « ne nous sentons pas italiens », même si nous savons très bien combien l’histoire, la géographie et la culture nous ont longtemps unis. Je crois même avoir été assez explicite dans certains passages. Je précise donc ici que, en tant que Corse, je n’ai aucun problème à déclarer que les Italiens sont mes frères, mais à la stricte condition que l’on n’oublie pas une cicatrice historique qui n’a pas encore vraiment cessé de faire mal : quand mon frère Mussolini a décidé de s’allier avec Hitler contre la France, à cause de lui on a eu des tas d’ennuis en Corse. C’est précisément que nous avons étés traités d’ « Italiens » par notre Patrie (la France...), de « collabos » scélérats, voyez le procès dit « des irrédentistes » de 1946.


• Quant à l’affirmation (que JC présente comme mienne) que « La majorité des Corses serait convaincue – par ignorance – que le corse “est une langue” alors qu’ils parlent “l’italien” », ce n’est de nouveau pas moi qui parle, mais un personnage aussi sympathique que dépourvu de toute mémoire historique, qui répondait au joli nom d’Armistizio Matteo Melillo, petit spécialiste curieux de parlers corses, auteur de deux ouvrages d’une médiocrité désarmante. En 1977 (à deux ans à peine des « événements d’Aleria », et à trente-deux ans de la fin de la Guerre), il avait à sa seule décharge d’avoir grandi dans une Italie qui regardait encore avec honte son passé fasciste, et cherchait à protéger ses enfants en en parlant le moins possible à l’école.


• J’ai beau relire mon livre, nulle part je ne me découvre à avoir traité le corse de « langue bâtarde ». Etant corse – veuillez bien survoler sur mon nom bien pinzutu – et corsophone moi-même, il s’ensuivrait que je devrais me considérer moi aussi comme « bâtard », ce qui n’est pas du tout la façon dont je me regarde au miroir le matin, je puis vous l’assurer.


• La langue corse est « vouée à la disparition à brève échéance ». Las ! Suis-je le seul à le penser ? Le but de mon livre n’était-il pas – accessoirement – celui de secouer le châtaigner, comme quand on essaie les gifles avec un malade qui ne réagit plus à aucun traitement ? J’ai bien parlé, dans le sous-titre, de Una lotta per la lingua, d’un « combat pour la langue ». Pour, pas contre. JC s’en remet aux « exégètes » – o Signore, averaghju scrittu un testu sacru ? – pour savoir pourquoi les sous-titres des versions provisoires étaient una lingua inascoltata « une langue inécoutée » et una lotta ecolinguistica « un combat écolinguistique » ; j’ai tout simplement changé d’avis en cours de route, comme cela arrive quand on passe trois ans à écrire un livre. Comme le disait récemment l’historien israélien Shlomo Sand, « Je ne crois pas qu’un livre puisse changer le monde, mais je cois que quand le monde change, il a envie de lire de nouveaux livres ». Voilà toute ma présomption et ma superbe. J’avais parfaitement conscience de déranger ; je ne m’en excuse pas, c’était intentionnel. Un proverbe hongrois – mais comment ne pas soupçonner que son auteur fût corse ! – dit que « C’est dans sa langue qu’un peuple habite ». Peut-on dire plus vrai des Corses ? Nous traitons notre langue exactement comme nos maisons : nous les laissons s’écrouler plutôt que de nous abaisser au déshonneur d’aller nous mettre d’accord devant un juge. La seconde partie de mon livre, qui d’après JC aurait dû précéder la première, contient une description grammaticale dont je ne voudrais pas me vanter, mais dans laquelle JC lui-même admet avoir trouvé quelque intérêt.


• Encore une fois : ce n’est pas moi qui « conseille [aux Corses] de renoncer à l’entreprise “ridicule” qui consiste à “s’entêter” à créer une langue littéraire et une littérature “micro-régionale” dont personne n’a réellement besoin ». Je faisais simplement part des réflexions italiennes, auxquelles j’ai régulièrement eu droit en parlant de langue corse avec des Italiens – et je vous assure que je ne fréquente que des gens très progressistes –, en invitant mon éventuel lecteur corse à se demander si elles sont réellement dépourvues de toute pertinence. Les Italiens sont-ils des idiots qui disent n’importe quoi, et dont les aventures linguistiques multiples qu’ils ont vécues ne pourraient être pour nous de quelque enseignement ? Et ne venez pas me dire : « Qu’est-ce que cela peut bien nous faire, ce que les Italiens en pensent ? », car si glottopolitique il y a, l’Indépendance de la langue corse a besoin d’être reconnue, et pas seulement par Paris !


• « La bonne solution [...] c’est de se tourner vers l’italien », m’attribue encore JC. A la fin de la première section, je conclue pourtant en déclarant très clairement que je refuse de « jeter l’éponge ». Pour ceux qui n’ont pas de familiarité avec le langage du pugilat, l’expression signifie que je n’ai aucune intention de cesser le combat (pour la langue corse). J’ajoute tout de suite après l’énormité suivante : de par notre histoire, une identité corse moderne et illuminée devrait faire de nous des trilingues : corse, français, italien (en ordre alphabétique, afin que personne ne soupçonne une priorité ou une autre). Une anecdote personnelle éclairera ma pensée. Je me trouvais un soir à dîner avec un groupe d’amis. Nous étions dix. Six camarades étaient corses, trois italiens, j’étais le dernier. Les trois Italiens baragouinaient bien le français, mais pas suffisamment pour suivre toute une longue conversation. Les six Corses furent donc obligés de ne s’exprimer qu’en corse, en évitant tout mot français, et en faisant l’effort de corsiser le plus possible leurs propos. Contrairement à ce que j’avais craint au départ, plus la soirée se prolongeait, plus les Corses affinaient leur langue (sans le moins du monde emprunter des termes italiens). Quelques jours plus tard, l’un de ces compagnons corses me confia qu’il avait vécu la soirée comme un véritable « exploit linguistique ». « Eh bien oui », lui ai-je répondu, un brin nonchalant, « l’italien nous fait du bien, comme tu as pu le constater ! ». Se « tourner vers l’italien » ? Absolument, mais certainement pas pour abandonner le corse, à Dieu ne plaise ! Je demeure profondément persuadé – et je l’ai clamé à plusieurs reprises, en l’excellente compagnie de Pascal Marchetti et de Paul Colombani – que l’étude de l’italien, conjointement à celle du corse (dans des écoles trilingues, que l’on aurait tout intérêt à expérimenter et à garder en observation) ne pourrait qu’insuffler une nouvelle vigueur à la langue corse. P. Colombani a cité l’exemple du Lu­xem­bourg, qui vit son trilinguisme (luxembourgeois, français, allemand) avec la plus grande sérénité et sans aucun dommage pour le luxembourgeois. Programme chargé ? Franchement, en Corse on en a vu d’autres...


• Je me « démarque de l’opinion formulée par certains linguistes selon lesquels seule la comparaison avec les “dialectes italiens” est légitime : il serait abusif de comparer le corse avec “la langue nationale italienne” ». Absolument : j’ai voulu mettre sur un pied d’égalité la langue corse et la langue italienne. C’est très abusif, d’un point de vue dialectologique, je sais, et très téméraire, aussi, d’un point de vue « glottopolitique ». J’ai voulu en somme que la langue corse tape du doigt sur l’épaule de la langue italienne pour lui dire « Hep ! Tu m’as vue ? ». Moi qui vis en Italie, je puis vous assurer que l’accueil de la part des spécialistes, et même de simples curieux, a été on ne peut plus chaleureux. J’appréhendais des réactions d’indifférence, d’hostilité, voire de sarcasme : rien de tel ne s’est produit.


• « L’attitude de OD conduit à blâmer toute revendication d’autonomie linguistique dès lors qu’elle émane d’une langue qui a vécu sous le “toit” d’une langue officielle (ici le toscan-italien) ». De grâce, JC, où ai-je pu dire pareille sottise ?


• Est-ce moi qui dis « tournez-vous résolument vers la langue de demain. L’anglo-américain, pourquoi pas ? » ? Moi, qui ne cesse de pester sans décolérer contre le sans-gêne de l’anglo-américain... Alors là !


• Je « met[s] en doute la latinisation de la Corse ». Je rappelle simplement – je n’ « af­firme » pas ! – que la latinisation linguistique de la Corse avant la période pisane (iiième siècle av. jc - xième siècle ap. jc), bien qu’évidemment plus que probable, ne dispose pas d’une documentation écrite : elle n’en est donc qu’hypothétique.


• Mais venons-en à l’ « outrance des propos », à mon « ironie méprisante » envers « ceux qui aboutissent à des conclusions différentes des [m]iennes ». Là, je suis tout aussi prêt à reconnaître mes défauts qu’à devenir méchant. J’ironise volontiers, et peut-être parfois un peu trop, soit. Je comprends parfaitement que la chose ne plaise pas à tout le monde, surtout aux esprits chagrins et peu sportifs. J’avoue que les âneries me heurtent, qu’elles ne m’inspirent aucune indulgence, et que j’ai la tendance sadique à leur taper dessus. Je suis un grand enfant, savez-vous : je trouve que la recherche devient vite ennuyeuse si l’on ne s’amuse pas un peu de temps en temps Or ironiser est une chose, mépriser en est une autre, à laquelle personne de ceux que j’ai cités n’a eu l’honneur d’être exposé. Je n’ai fait que souligner le ridicule de certaines affirmations, que d’autres spécialistes – plus diplomates que moi – auraient simplement passées sous silence. Et en linguistique corse, les âneries ne manquent pas, andate puru !


Je vais poursuivre par des considérations générales, que j’adresse au public non spécialiste, sur des accusations qui depuis 2003 pèsent sur moi. Je serais soi-disant responsable des affirmations outrancières suivantes :


• J’aurais dit que le corse n’est pas une « langue » mais un « dialecte ». Horreur ! Pour les gens de tous les jours, le terme « dialecte » est synonyme de « sous-langue, patois, charabia, jargon, borborygme ». Non : pour les linguistes, il indique un système linguistique – donc une langue... – qui, pour des raisons historiques, politiques, géographiques, voire littéraires, a pendant longtemps gravité autour d’un autre dialecte plus prestigieux, lequel a fini par s’auto-couronner langue. Le dialecte n’est pas une forme mineure de la langue, c’est le contraire : toute langue est un ancien dialecte. Faut-il rappeler que le français n’est autre que l’ancien dialecte néo-latin de l’Ile-de-France, que François ier imposa comme langue administrative de son Royaume en 1539 ? La langue italienne est à l’origine elle aussi – voyez-vous donc ! – un dialecte toscan (précisément le florentin), qui s’est imposé pour des raisons purement littéraires. De la même façon, je considère que la langue corse d’aujourd’hui est, à l’origine, le dialecte de l’Ile de Corse. Qu’est-ce qui transforme, au fil des siècles, un dialecte en langue ? Plusieurs facteurs, sur lesquels je ne vais pas m’étendre ici, mais en premier lieu la volonté de ceux qui le parlent (et l’écrivent). Ce n’est pas à moi, ni à aucun autre linguiste, de décider, démontrer, clamer que le corse « est une langue » : c’est à la Communauté de ses usagers, et je dis dans mon livre que « la langue corse existe, et elle existera tant que les Corses la feront exister ». Si les Mentonnais veulent qu’existe une langue mentonnaise, vive la langue mentonnaise ! Elle n’en restera pas moins un dialecte ligure, du point de vue historique, sans le moindre déshonneur. Pascal Marchetti a plusieurs fois nommé cela un « volontarisme nationalitaire ». Je suis un fervent partisan du principe énoncé, en plein xvième siècle, par le grammairien français Pierre de La Ramée, alias Petrus Ramus : « Le peuple est souverain seigneur de sa langue ». Valable pour les Corses aussi, d’accord ?


• J’aurais dit que le corse est un « dialecte italien ». Soit une sorte de déchet linguistique de la Péninsule voisine venu s’échouer sur nos plages, que d’aucuns s’ingénient par tous les moyens à rafistoler et à guinder en noble « langue corse ». Ceux qui ont lu le paragraphe précédent comprendront mieux ce que j’entends éventuellement par là. Nul ne niera que le corse a pendant très longtemps gravité dans l’orbite du toscan-italien (comme tous les autres parlers de la Péninsule et de ses îles, du piémontais au sicilien) : dans cette optique, le corse a indiscutablement été – passé composé – un dialecte italien. Mais aujourd’hui, et, conventionnellement depuis 1896, avec Santu Casanova et sa Tramuntana, le corse s’est volontairement décroché de l’orbite italienne : il ne se considère plus comme un dialecte italien. Et il ne l’est plus (si vous voulez rire un peu, rien n’est plus drôle que de demander à un Italien de prononcer « uchjighjeghju » !). Tout comme l’a fait le macédonien, qui s’est désolidarisé du bulgare à partir de 1945, de même que pour le serbe et le croate, qui ne sont plus la même langue depuis la Guerre du Kosovo. Face à ces « divorces », qu’ils paraissent justifiés ou pas, qu’ils plaisent ou pas, le linguiste n’a d’autre choix que celui de les accepter.

Or – et j’en suis désolé pour ceux que la chose chagrine – dans la structure générale du corse, l’élément ancien-toscan constitue la quasi-totalité de la charpente de la langue actuelle. Or ceci ne veut pas dire que « le corse est de l’italien », et n’infirme nullement la potentialité, le droit, l’aptitude du corse à se constituer en langue indépendante – ce qu’il fait, d’ailleurs, et avec moult dignité, depuis plus d’un siècle justement, en se passant fort bien des services des linguistes...


• J’ai dit effectivement que le corse ne « dérive pas en droite ligne du latin ». Bien que l’on ne puisse nier qu’il existe une continuité entre les plus anciennes formes de latin (dont nous sommes dans la plus totale ignorance !) importées dans l’Ile à partir de 259 av. jc et le corse d’aujoud’hui – tout comme il en existe une, aussi ténue soit-elle, entre le gaulois et le français d’aujoud’hui... –, je dis cependant que l’apport toscan survenu à partir de 1071 a largement submergé ce qui précédait, et ce n’est pas de ma faute. Dans l’état actuel des choses, il est totalement oiseux de se demander si cavallu continue le toscan médiéval cavallo ou le latin caballus : ils se sont simplement fondus l’un dans l’autre. « Or à ce sujet OD a peu de doutes. Si une forme corse a la même base qu’en toscan, il considère que la première est forcément dérivée non pas du latin vulgaire mais directement du toscan ». Dois-je rétorquer alors que JC lui aussi a « peu de doutes », évidemment en sens inverse ? En raisonnant comme il le fait, tout ce qui pourrait être toscan ne peut être pour lui que latin. En matière de lexique, mettons. Mais quand ce sont la phonologie, la morphologie et la syntaxe qui présentent les mêmes affinités avec le toscan (médiéval, de surcroît), alors de deux choses l’une : a) deux langues distinctes dès le départ, le corse et le toscan, ont grandi, indépendamment l’une de l’autre, depuis 2271 ans, et ne doivent leur ressemblance frappante aujourd’hui qu’aux caprices d’un hasard bien polisson ; b) c’est le toscan qui a migré vers la Corse.


• J’aurais dit que le corse « n’a pas droit » au statut de « langue ». Pensez-vous sérieusement que j’aurais consacré un livre de 397 pages (dont 277 présentent une grammaire générale) à une langue qui selon moi ne devrait pas sortir de sa bergerie ? Puisqu’il faut tout expliquer, sachez que le corse est une langue que j’aime profondément, c’était celle de mon père et de toute une partie de ma famille, ce fut une des langues de mon enfance, je possède une bibliothèque d’auteurs en langue corse dont je suis très fier. Ce serait pour moi une grande joie de la voir un jour langue officielle et administrative, à côté du français (et plus seulement en italique folklorique sur les panneaux de signalisation). J’ai cru pouvoir l’aider en apportant ma brique. Je ne prévoyais pas un tel tapage, mais le cœur y était. Dans un débat aussi âpre, toute discussion est bienvenue et vitale, surtout si elle est enflammée, mais soyez démocratiques et ne faites pas dire aux gens ce qu’ils n’ont pas dit.


• Il paraît enfin, a-t-on dit ailleurs, que je balaye, d’un revers de main, des années de patientes et minutieuses recherches menées par d’honnêtes universitaires. Soit dit entre nous, vous admettrez tout de même de bon gré que, s’il suffit d’un revers de main pour tout casser, c’est qu’elle n’était quand même pas bien solide, la baraque ! Je ne puis prendre pour des « résultats » ou « conclusions » de recherche scientifique les prises de position de tel petit linguiste exaspéré qui, sans démontrer quoi que ce soit, sans même essayer de le faire, affirme, déblatère et tape du poing sur la table. Ce n’est pas comme ceci que l’on fait de la linguistique historique. Il existe deux disciplines nommées « linguistique romane » et « dialectologie italo-romane », que tout aspirant corsisant est instamment prié d’aller potasser avant de venir braire eurêka. Là aussi, je présume que JC sera d’accord. (Oui, bon, là, j’y ai été un peu fort... Tu n’as pas honte de t’en prendre à plus faible que toi ? Suis-je donc rossard, à mes heures...).

Je suppose que si un linguiste étranger à la linguistique corse, tombé par hasard sur ce texte, m’a suivi jusqu’ici, il doit écarquiller les yeux et se dire comme un Obélix : « Ils sont fous, ces Corses ! ». Reconnaissons qu’il n’a pas tous les torts. Avez-vous remarqué qu’il n’y a que des Corses à s’occuper de langue corse ? Alors parlons-en entre nous : enfilez vos gants de base-ball et prenez position.


Butulimi e’ inzerghere nantu à a lingua corsa e’ soprattuttu nantu à quale scrivenu attornu à stu sugettu ùn anu da finisce, e’ tuttu què mentre chì a lingua si ne more, trà voceri sperenzosi e’ versi chì ùn collanu in celu (ma in terra si sentenu da assai luntanu...). A situazione di i studii ferma a listessa dipoi più di mezu seculu avale: di corsu s’occupanu guasi solu studiosi corsi, perchè chì n’importa quale linguistu micca corsu chì s’avvicinghi à u corsu senza sapè nunda dice ch’ellu n’hà una sumiglia cù u talianu, pè ùn dì ch’ellu n’hè u fratellu di piccia : tandu u sguardu di l’amicu o di u cullega corsu li face capisce chì, una, hà dettu ciò ch’ùn ci vulia à dì, duie, ch’ellu hè megliu à tene a bocca chjosa d’ora in avanti. Hè bella capiscitoghja chì nimu vole liccassi una cultillata o una cisprata pè avè fattu l’affrontu di sculinà una lingua senza vistitoghja – omu sà bè chì noialtri Corsi simu frecciuli e’ vinditteri –, e’ po, cum’ellu cantava Brassens cun altre parolle, à chì hè tale di natura ùn ci vale lavatura, ùn hè ? À l’accorta, u risultatu n’hè chì u nostru corciu linguistu si ne volta à scapponi à i so interessi precedenti, e’ tantu peghju pè u corsu. Pè sse France e’ pè ss’Italie, i culleghi rumanisti ci feghjanu stunati, à chì ridichjuloni à chì penserosu, ma in fondu in fondu sanu bè cumu pensalla, e’ s’elli ùn scuzzulanu u capu scuragiti e’ arrisignati ghjè sulamente perch’elli sò accrianzati. In Corti ponu fà nece d’ùn sapella quant’ella li pare : nous sommes devenus la risée des études romanes.


U mitu di u corsu lingua latina, staccata da u talianu, ingrandata dirittu dirittu à partesi da u latinu, équidistant à pettu à l’altre lingue neolatine, hè oghje un dogma nu a militanza. Or cum’è tutti i dogmi, ci vole à accittalli e’ à credeci senza fà dumande. A fede, si sà, ghjè cum’è l’alcollu : pò esse una medicina furmidevule o un vilenu tremendu. Di a « falata diretta » di u corsu da u latinu pare chì unipochi si sianu imbriacati, e’, cum’è dopu à tutte e sbornie, e sveglie sò dure e’ azeze.


Quand’e aghju scrittu u mio libru, pensava – incù tamanta niscentria – chì qualchì cosa avia da teneci uniti: l’avvene di a lingua. Quant’à mè, a sapete, ch’ella sia figliola di u tuscanu, di u latinu o di l’etruscu, persunalmente mi n’infuttu, ciò chì m’importa hè ch’ella campi.


Un’ultima pruposta, e’ po aghju finitu. Ùn seria una bon’ideia inventà un « baggiu » (un badge), da mettesi nantu à a ghjacchetta, chì a so significazione seria « Sò dispostu à parlà corsu » ? Sapete, à le volte, infattendu l’incunnisciuti, in banca, à u scagnu pustale, nu e grandes surfaces, ùn osemu micca... Siente à mè, puderebbe ghjuvà assai à l’usu cutidianu – e’ micca solu casanu e’ paisanu – di a lingua. Chì ne dite ? Semplice, ghjuvatoghju, e’ soprattuttu cuncretu. Ditela à Curtinesi !


Olivier DURAND

mercredi 18 janvier 2012

"Première pierre", Annie Drimaracci

Un rapide billet pour évoquer une lecture récente.

(Je rappelle que ce blog est un lieu de liberté, et que tous les avis - clairs, obscurs, brefs, longs, informés, hésitants, partiels, partiaux, modérés, radicaux - y sont les bienvenus, exprimés sincèrement et courtoisement.)

La réalité, la voici : j'ai lu "Première pierre" (éditions Colonna) d'Annie Drimaracci du fait d'une sollicitation (c'est souvent le cas dans les lectures que nous faisons tous régulièrement). Peut-être n'aurais-je jamais lu cet ouvrage sans cette sollicitation. Par manque de temps et du fait d'un a priori négatif devant les ouvrages qui explorent une mémoire familiale (puisque "Première pierre" est le récit d'une enquête menée lentement, lors de séjours en Corse, par l'auteur, à la recherche d'un aïeul presque inconnu et dont le tombeau tombe en ruine, à Cargèse).

J'ai lu l'ouvrage, donc ; et j'ai même pris contact avec l'auteur, avec qui j'aurai plaisir à dialoguer lors d'un Salon de la Corse à Aix-en-Provence (le week-end après celui de Marseille et avant celui d'Aubagne !). Ce sera le samedi 4 février, je fournirai des détails et précisions bientôt.

Donc, coup de téléphone, et échange de mail. Et encore une fois, la confirmation qu'une discussion enrichit la connaissance d'une oeuvre, fait évoluer nos opinions, affine nos goûts.

C'est pourquoi, avec l'accord de l'auteur, je publie ici une partie de nos échanges ; peut-être aurez-vous envie de vous joindre à la conversation ? Bonne lecture :

Madame Drimaracci,

Je viens de finir "Première pierre". J'ai eu du mal à entrer dans cet ouvrage, m'y reprenant à plusieurs fois pour dépasser les premières pages. Je vous avouerais qu'il y a deux types d'histoire qui m'intéressent peu : les sagas familiales (avec secret de famille) et les enquêtes qui démarrent autour d'un cadavre atrocement et rituellement mutilé. J'étais donc prévenu contre votre enquête généalogique. J'ai dû passer outre ma pente, bien m'en a pris. J'ai beaucoup plus apprécié le livre à partir du moment où les deux testaments sont découverts, enfin une parole concrète, très émouvante je trouve, et avec des résonances, qui outrepassent le cas singulier de votre aïeul : ce désir fou, dans tous les sens, et paradoxal, de s'autofonder tout en réclamant la reconnaissance collective. En même temps, j'ai été passionné (et pas étonné) de
voir ce désir être annulé par la dérision villageoise (le "Je lègue à moi-même"). Et j'y vois deux impasses possibles pour une expression littéraire insulaire : l'autarcie folle voire hautaine de Drimaraki-Servò et ce que trame la mémoire orale collective souvent marquée par la dérision. Au bout du compte, cela aboutit à des poèmes mineurs (à la mode de, vous repérez les influences ou les modèles de Lamartine, Hugo, Baudelaire) ou des bons mots transmis de génération en génération. Rien, à mon avis, qui puisse nourrir, "ici et maintenant" (comme vous l'écrivez à la fin) un imaginaire littéraire insulaire...
Par contre, votre enquête, je trouve (avis personnel discutable), prend une épaisseur certaine lorsque vous revenez vers "l'homme de guet", celui qui vous avait tout dit en une fois au début du livre ; j'adore la transcription du non dialogue, très drôle, puis encore plus votre analyse de ce personnage allégorique, avatar de l'aïeul : je trouve là une description très précise (apte à hanter l'imaginaire) de cette figure attirante (et irritante, voire insupportable) de l'homme qui sait et qui ne fait (plus) rien ; figure très présente dans notre imaginaire et dans notre réalité (regard lucide et stérile).
Vous finissez par lui trouver une justification (vous renvoyant à votre liberté), pourquoi pas. Le recours à la troisième personne à la fin du livre justifie toute l'enquête, je trouve.
Bref toujours pour vous parler franchement (ce sont mes premières impressions),
je regarde cet ouvrage comme un livre qui a bien des attraits, dont bien des aspects ne m'attirent pas mais qui à mes yeux est sauvé par la volonté de la narratrice de "faire" quelque chose plus encore que de trouver la vérité : produire une forme qui dise quelque chose du réel corse d'hier et d'aujourd'hui (ou qui traverse les époques), et non pas seulement témoigner d'une histoire familiale dans laquelle chacun pourrait retrouver sa propre histoire (autre lecture possible).
J'y reviens : cette figure de "l'homme de guet" permet de nouer tous les fils et
d'ouvrir des perspectives.
Merci.

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Monsieur Renucci,

Voici donc quelques éléments en réponse à votre mail, et tout d'abord, encore merci pour votre lecture précise et votre sincérité. J'ai trouvé très drôle votre commentaire préliminaire sur vos préventions en matière de littérature, et j'espère que mon histoire entrait seulement à vos yeux dans la 1ère catégorie !
Je comprends bien que vous n'ayez pas été convaincu par les poèmes de mon ancêtre, que l'on peut, à bien des égards, estimer médiocres. Toutefois, outre le fait que je sois affectivement liée à ce recueil qui a constitué un jalon important de mon itinéraire, on peut peut-être accorder à César (!) qu'il savait versifier, mais surtout qu'il fait entendre à travers quelques uns de ses poèmes une petite musique nostalgique que je crois authentique, et qu'il sait, en peu de mots et de vers, faire surgir des images, petits tableaux ou instantanés tout simples, comme des fragments, des traces sensibles d'une vie insulaire d'autrefois. En effet, il n'y a sûrement pas là de quoi entretenir un imaginaire insulaire "ici et maintenant", mais pour le lecteur d'aujourd'hui, cela peut ressembler à une "photographie", certes jaunie, un témoignage (au même titre qu'un autre), entre sociologie et poésie.
Il me faut maintenant tenter de justifier cet "ici et maintenant" qui peut sembler démesuré et hors de propos. Si j'ai essayé de faire revivre cette histoire, de la reconstruire (de façon très lacunaire, avec les moyens du bord), c'est pour restaurer cette mémoire effacée. César Drimaraki-Servo a sans doute été quelqu'un d'assez compliqué et irascible, il s'est sans doute sabordé en voulant au contraire s'assurer une forme de pérennité, mais ce naufrage m'a touchée, et peu importe à mes yeux qu'il soit un poète mineur, mon livre est un peu symboliquement (et très modestement) son tombeau, le geste en tout cas que je voulais faire pour "réparer" cet anéantissement. "Ici et maintenant" qualifiait donc peut-être davantage Première Pierre que le recueil Algues et Fleurs...
Je me pose une question sur ce que vous m'avez écrit à propos des "deux impasses possibles pour une expression littéraire insulaire" : vous voulez dire en général, ou simplement pour ce qui concerne mon ancêtre ?
Quelques mots enfin au sujet de l'homme de guet. J'aime aussi beaucoup ce
"personnage". En tout cas, il a involontairement nourri mon imaginaire et les
quelques rares échanges avec lui m'ont beaucoup aidée dans l'écriture.
Ce que j'ai aussi essayé de faire, au-delà de la question corse, et là encore en toute humilité, c'est de produire une forme littéraire un peu "à la marge", qui épouse le tracé de mon vagabondage généalogique.

samedi 7 janvier 2012

A la recherche d'une parole...

Ces derniers jours, lecture simultanée de plusieurs textes (de nature et de forme très différentes) :

- "Pasquale Paoli, ou la déroute de Pontenovu", Francesco Domenico Guerrazzi. Roman corse par un Italien du Risorgimento, publié en 1860, première traduction en français (enfin !!) par Petr'Antò Scolca aux éditions Albiana (2011).

- "Première pierre", Annie Drimaracci (éditions Colonna, 2011). Enquête personnelle sur un ancêtre oublié, César Drimaraki-Servò (né et mort à Cargese), auteur d'un recueil de poèmes, "Algues et fleurs" (publié chez Alphonse Lemerre en 1897, republié par les éditions Colonna en 2011)

- "Mutant cinématographique en liberté", article d'Elisabeth Milleliri. Présentation approfondie du film "Sleepwalkers" et entretien avec le cinéaste, Thierry de Peretti (publié dans le numéro de janvier 2012 du mensuel Corsica)

- "Le procès Colonna", par Tignous et Paganelli. Page du "30 novembre" publiée dans le numéro 333 de l'hebdomadaire "24 ore" (du jeudi 5 au mercredi 11 janvier 2012)

Une parole de vérité est-elle possible ? Qui dira la vérité ? A quelles conditions ? Cette vérité sera-t-elle utile ?

Je lis ceci, ce sont les mots d'un des membres du commando qui assassina le préfet Claude Erignac en 1998 : "Vous croyez que je me suis rendu à cette action la fleur au fusil ? Bien sûr que j'avais peur. L'assassinat du préfet est un acte de patriotisme. J'ai surmonté la peur, pour mon peuple qui vit une situation d'injustice. La peur peut vous faire commettre l'irréparable." Et aussi, en réponse à la question si la mort de Claude Erignac a servi le peuple corse : "Hélas ça n'a servi à rien, ça n'a pas réveillé les consciences ! C'est un constat d'échec, un cri de désespoir. La souffrance, c'est que, derrière le symbole de l'Etat, il y a un homme."

Je lis ceci (j'ai déjà vu le film "Sleepwalkers" quand je lis cet article d'Elisabeth Milleliri) :"Autour de deux personnages assez "mutiques" - (il s'agit du brancardier Pascal et de Mustapha, employé clandestin) - un choeur de jeunes gens qui refont le monde. Ou plutôt qui veulent s'imaginer le refaire. Ils sont lucides - en tout cas lorsqu'ils ne sont pas ivres - critiques, mais inertes. Ce sont des causeurs sans cause. La seule parole puissante, susceptible de conduire à une action, fût-elle désespérée qu'ils soient capables de vivre, c'est celle de Camus dans "Les Justes". Du théâtre ! "On voit les choses (paroles de Thierry de Peretti), mais on n'arrive pas à les transformer, à mobiliser des forces, à passer à un autre état que celui de la parole."

Je lis ceci : "Il n'avait sans doute pas tort, puisqu'une nouvelle fois revenue sur mes pas, sur ces traces bien plus qu'à demi effacées, et même si j'ai pu en une semaine glaner quelques bribes encore, je vois bien que l'énigme de mon poète oublié, le secret de sa vie, resteront enfouis à jamais sous les décombres de son tombeau. Il me reste pour tout legs ces quelques mots de lui enfin retrouvés, son recueil en piteux état "Algues et fleurs", donc, sous-titré "poèmes corses", et que j'ai fait restaurer et relier au printemps. En demi-chagrin pour être précise, je ne l'ai pas fait exprès, mais la précision technique prend naturellement un autre sens quand on connaît un peu l'histoire. J'ai choisi pour le dos un cuir bleu outremer sur lequel le relieur a gravé le nom, le titre, le sous-titre et la date en lettres dorées, et un très joli papier moiré aux dominantes vert pâle soutenues du même bleu que le bord. Je suis très heureuse de ce choix en écho au titre du recueil. De mon dialogue secret avec lui, je sais qu'il l'approuve et aurait lieu d'en être fier. Le fait d'avoir fini par trouver ce recueil alors que je n'y croyais plus - même si le bouquiniste à chaque conversation au téléphone m'exhortait à la patience - m'apparaît comme une sorte de petit miracle. Le deuxième étape, celle de la reliure, est rétrospectivement déterminante : un acte symbolique, première pierre, premier pas dans le travail de réparation. Le livre existe - bien que le relieur m'ait avertie de l'état du papier, selon lui trop acide pour se conserver au-delà de quelques années - il redonne vie aux mots et légitimité au poète. Sa présence me communique le désir et la volonté de poursuivre l'aventure." (page 36, "Première pierre").

Je lis ceci : "Santi Giacomini, Corse de Centuri, était assis sur une chaise haute de cuir noir. Bien que nous fussions entrés en avril, il avait le corps enveloppé d'une couverture de laine. Derrière les épaules et aux côtés, plusieurs oreillers du lit le soutenaient. Il toussait continuellement, tantôt doucement, tantôt à s'en rompre la poitrine ; il expectorait avec douleur. On ne pouvait guère connaître son apparence, parce qu'un béret en maille de soie noire, un chapeau et un voile de taffetas vert recouvraient sa tête et une bonne partie de son visage. Et comme si tout cela ne suffisait pas, il protégeait sa vue avec des lunettes vertes, la partie inférieure du visage presque enfouie dans le repli de son col.
On ne pouvait savoir au juste son âge mais, jeune ou vieux, on lisait clairement que la mort était tout prêt d'en solder le compte. La peau de son nez était tellement tendue que l'on pouvait voir les os montrant leurs angles aigus. Ses narines amincies étaient parsemées de tant de croûtes que l'on eût cru un ragoût d'os hachés. Sa peau, moite de sueur, prenait la couleur de la cire rancie et une rayure vermeille balafrait le sommet de ses joues, comme les rayons extrêmes du soleil sur les hauteurs lorsqu'ils appellent les cloches à la complainte de l'Ave Maria. Comment pouvait-il vivre en un tel état, on ne le comprenait pas. L'amour de la patrie le tenait attaché à la vie et c'était justement cela le miracle, et non le seul, de l'amour de la patrie. Cela et rien d'autre, avec une ténacité à stupéfier les médecins, combattait en lui la mort et, depuis un an, il repoussait chaque jour dans sa gorge la bouffée que celle-ci soufflait déjà pour l'éteindre. Ainsi, au milieu de l'hiver, la feuille persiste-t-elle, bien que changée de couleur, à trembler dans le vent grâce à l'une de ses mille fibres qui un jour la tinrent accrochée à l'arbre ; elle ne veut point mourir si elle n'a vue auparavant poindre sur la branche sa joyeuse héritière.
Ce miracle de volonté obstinée tenait dans la main droite un paquet de papiers et dans la main gauche un canif. En parcourant les documents, il laissait parfois sa tête sur les épaules, tellement convulsé que si la mort était venue en cet instant, elle eût alors passé son chemin sans le toucher, en disant : "Le travail est accompli pour celui-ci". Puis l'instant d'après, ses pupilles s'enflammaient sous les lentilles vertes, ses lèvres frémissaient de paroles indistinctes et il tailladait les feuilles de la pointe de son canif avec la férocité que montre le Corse lorsqu'il se jette à corps perdu sur l'ennemi odieux." (pages 41 et 42 du "Pasquale Paoli" de Guerrazzi).

Voilà ce qui me plaît : cette tension que tous ces mots faibles (poèmes perdus, conversations sans but, réponses lors d'un procès, paroles indistinctes d'un mourant) peuvent entretenir avec les "grands" discours qui les ont précédés ou finalement intégrés, sauvés (les discours sur les valeurs, sur la Corse, son Histoire, son Identité). En tant que lecteur, je n'aime pas sacrifier telle ou telle partie de la "parole littéraire corse" ; je préfère les faire jouer entre elles. Imaginer des rapprochements qui peuvent paraître incongrus ou choquants (le commerçant paoliste de Guerrazzi et le membre du commando des Anonymes ; les poèmes mineurs d'un amoureux des Lettres fin 19ème et les mots de Camus dans "Les Justes" ; les conversations "sans cause" de quelques jeunes gens et le passage à l'acte inutile des "patriotes" condamnés par la justice ; etc.).

Je lis avec plaisir, parfois avec un plaisir fou, tous ces textes : j'ai l'impression qu'ils "disent" vraiment quelque chose, que ce quelque chose est de l'ordre de l'imaginaire, où les fables, les formes, les figures se recomposent sans cesse. Pour dire à la fois

l'horreur de la violence,

et l'enthousiasme de l'amour - la virulence de l'amour patriotique -,

la joie de prendre de la distance avec cette adhésion patriotique, avec humour, avec le sourire (en lisant Guerrazzi, c'est ce que je ressens : j'aime son amour sincère de la Corse indépendante et je souris à la mise en forme qu'il lui donne, l'excès de ses images),

l'angoisse de voir représenter les impasses de la société insulaire (voyez cette scène hallucinante - pour moi, mais je sais que d'autres n'ont pas aimé ce film - de l'autopsie dans "Sleepwalkers"),

et la confiance renouvelée dans les forces de la création artistique : mettre en film l'errance et le silence, mettre en récit ce qui était dispersé entre tombeau et livre en ruine, raconter la "déroute" et ce qui lui survit,

etc.

etc.

(Bon, je sais que ce billet ne ressemble pas à grand chose, mais ne comptez pas sur moi pour des présentations claires des oeuvres et textes - vous pouvez en parler autrement, bien sûr, ici ou là : si un blog est à ce point précieux c'est qu'il n'y a pas de contrainte économique et éditoriale. Certes le pire et le meilleur peuvent surgir, mais bon, voyons le meilleur, lisons le pire et discutons-en !

Vous avez peut-être d'autres avis sur tout ce qui vient d'être dit ??)

lundi 2 janvier 2012

Lu ceci dans le dernier numéro de la revue Fora!

Lu ceci, oui, et je le relis maintenant, en le réécrivant :

(Dany et Pierre Faïsse, petits producteurs agricoles en Corse évoquent leur installation dans l'île dans les années 70, et notamment via une "anecdote" qui met en scène d'autres personnes qu'elles, anecdote qui m'a frappé, j'y reviens après le texte de leurs propos, recueillis par Vannina Bernard-Leoni et Jérémie Aynié, et publiés dans le numéro 9 de la très belle et toujours passionnante revue "Fora!", la revue dont le slogan est "La Corse vers le monde" ou encore "Per spaisà vi senza sradicà vi"...) :

Pierre : Quand ils sont partis à la retraite, mes parents sont venus s'installer en Corse, à Piedipartinu, en Orezza. Un jour, je fais une randonnée sur le San Petrone avec mon père, mais en redescendant il faut une attaque d'hémiplégie. Il a fallu que je reste plus longtemps que prévu. Il a même fallu qu'ils aillent un moment dans une maison de repos à Santa Catalina, près de Sisco. Je m'occupais de leur déménagement, tout en faisant pas mal d'allers-retours entre Paris et la Corse. Progressivement, j'ai commencé à m'installer en Castagniccia.

Dany : Par l'intermédiaire des parents de Pierre, nous avons fait la connaissance d'un couple qui voulait établir une communauté de travail en Castagniccia. A l'origine, il y avait une fille qui venait de la Sarthe. Elle tenait le coup en faisant des ménages, en gardant des vieux. Elle avait prospecté : elle connaissait les maisons à louer, les châtaigniers, etc. Elle est allée sur le continent à un festival écolo - il y a en avait pas mal à l'époque - et elle a dit qu'elle voulait monter une communauté mais qu'elle n'avait pas d'argent. Elle y a rencontré un type qui avait un peu de tunes pour l'aider. C'était un militant antinucléaire - et ils se sont mis en couple. Ils laissaient un appartement à Ortiporiu, et partaient dans une maison pas loin avec leur projet communautaire.

Pierre : Ça ne me branchait pas trop le côté communautaire, mais j'ai récupéré l'appartement.

Dany : C'est à ce moment-là que je suis arrivée en Corse. A l'époque, j'étais bibliothécaire à Paris, au centre Pompidou. Je suis venue avec une copine pour aider Pierre à s'installer. On était peinards en vacances, mais quelques jours à peine après mon arrivée, débarquent la nana de la communauté et une copine. Elles nous disent : "On va faire de la guitare à une fête à Bisinchi. Est-ce qu'on peut dormir chez vous demain quand on revient ?". Pas de problème. Mais le lendemain matin, elle voit arriver une 3CV avec marqué "Non au nucléaire" : c'était son mec qui venait lui déposer son testament et qui repartait en trombe en lui disant qu'il partait se suicider aux Sanguinaires, où ils avaient eu leur histoire d'amour. On a sauté dans la voiture de Pierre pour essayer de le rattraper. Ça a été une course-poursuite à travers la Corse. On s'est arrêtés à Corte à la gendarmerie pour expliquer la situation et essayer de le stopper, mais c'était peu après les événements d'Aleria, fin août 1975 et les gendarmes n'en avaient rien à faire... Bref, on en l'a pas rattrapé. Et deux jours après, on lit dans le journal : "Mystérieux noyé dans la baie d'Ajaccio". On voulait être peinards, et ça commençait bien...


C'est le genre d'anecdote qui me ravit ; j'imagine tout de suite qu'un scénariste pour s'emparer de cette histoire, cela pourrait devenir un vrai bon film sur la Corse de cette époque (car enfin, des vrais bons films corse ou sur la Corse, vous en connaissez ? Je veux dire des films qui vous font hurler au chef d'oeuvre, qui vous font pleurer, qui vous emportent à chaque nouvelle vision dans un monde à la fois familier et autre, cette fameuse "demeure inaccoutumée" dont parle Empédocle, un film qui vous fait jeter votre sandale bien loin de vous, un film qui vous donner l'impression de tomber dans un volcan...).

Faire un pas de côté pour mieux voir ce que les discours historiques, politiques, communs ont fini par masquer ou déshumaniser.

Une course-poursuite entre Ortiporiu et les îles Sanguinaires (143 kilomètres minimum sleon Google maps ; mais on peut imaginer bien des zigzags), juste après les événements d'Aleria, avec les gendarmes à Corte, et des couples de babas cool au relations amoureuses chaotiques ; ça pourrait commencer sur de la guitare à Bisinchi... et se finir avec le Corse-Matin (Nice-Matin, à l'époque non ?) du matin, au petit-déjeuner, avec le voile pudique que la prose journalistique pose sur le monde (un monde absolument chaotique et insignifiant).

Un film dramatique avec beaucoup d'humour, cet humour que j'ai senti dans les mots un peu distants de Dany.

Mais une histoire vue à travers quel regard (ou quels regards) ? Très importante question. En flash-back ou plongé dans l'époque ?

Quelque chose comme un mélange entre "Corsica Blues", roman de Jean-Pierre Santini et "Adieu Philippine", le film de Jacques Rozier.

Où est le scénariste ?

(Evidemment, je souhaite une très belle année de lecture à tous les visiteurs et participants à ce blog et je réitère ici mon appel : ce blog est accueillant : j'y place des billets qui sont comme un libre journal de lecteur, et vous pouvez y ajouter vos propres impressions de lecture, ou récits de lecture, n'hésitez pas à prendre les quelques dizaines de minutes que cela réclame, c'est la littérature corse qui y gagne, à tous les coups ! C'est aussi un blog de discussion : rien de tel que se dire gentiment la vérité de nos pensées et désirs pour faire évoluer les imaginaires, toujours enclins à s'appauvrir, par indifférence ou par crispation. A bientôt.)