dimanche 30 mai 2010

Ariane Chemin évoque la bibliothèque d'Yvan Colonna

Furetant ce matin sur le site de Rue 89, je finis par cliquer sur le blog d'Hubert Artus - "Cabinet de lecture" - qui évoque les deux manifestations littéraires majeures du moment en France : le festival "Etonnants voyageurs" à Saint-Malo et les "Assises du roman" à Lyon.

Un des billets évoque une sorte de malentendu entre artistes revenant de Saint-Malo, survenu dans un tgv, histoire qui m'intéresse moyennement, mais je finis par chercher dans Google une info concernant un de ces artistes (le romancier Olivier Maulin), ce qui me conduit sur le site de Bibliobs.

Et je me dis que je devrais y faire un tour au moins aussi souvent que sur le blog de Pierre Assouline, "La république des livres" !

Car... je tombe sur un article d'Ariane Chemin, daté du 25 mai 2010, intitulé :

Que lit-on en cavale ?
La bibliothèque d'Yvan Colonna


(Je ne sais pas comment la journaliste s'est procurée ces informations, qui semblent très précises puisqu'il est question de livres "lus" ou "parcourus" ou "commandés", d'auteur "fétiche" - Ismaïl Kadaré en l'occurence.)

Puisque sur ce blog, nous évoquons toutes les lectures de livres corses, je lis intégralement le billet d'Ariane Chemin et je me rends compte que sur les 22 titres cités, un seul concerne la Corse directement :

- "Projet de constitution pour la Corse"

Dans la colonne à droite de l'article se trouve des références bibliographiques qui mènent vers certaines éditions des livres mentionnés. Pour le "Projet" de Rousseau, le lien renvoie à l'édition dirigée par Robert Chesnais, aux éditions Nautilus en 2000.

Je me souviens de l'édition chez La Marge par Jean-Marie Arrighi et Philippe Castellin et de leur présentation éclairante de ce texte, resté lettre morte. Ariane Chemin le classe dans la catégorie "utopie", ce qu'il n'est pas véritablement, me sembe-t-il, puisqu'il s'agissait véritablement d'organiser concrètement un pays (et non de développer la description d'une société idéale propre à critiquer la société réelle).

Evidemment tout cela est sujet à bien des conjectures et il me semble que l'article aurait été bien plus intéressant si nous avions pu avoir les avis du lecteur, Yvan Colonna, en plus des hypothèses de la journaliste.

Les questions seraient : pourquoi lire aujourd'hui le "Projet de constitution pour la Corse" de Rousseau ? comment l'avez-vous lu ? avec quelles conséquences ?

Il faut que je reprenne moi-même ce texte, lu il y a bien longtemps, quasiment oublié ; dernièrement j'ai lu avec beaucoup d'émotion les dernières pages des "Confessions" du même Rousseau, toutes pleines de la Corse, du projet de s'y rendre, etc.

Ce sont tout de même des pages importantes de la littérature corse (écrites en 1763, restées inédites jusqu'en 1861)...

jeudi 27 mai 2010

Comment ça fonctionne ici (2)

Oui, puisque ces lignes furent évoquées hier au soir sur des fils électriques, les lisant ce soir ainsi couchées sur le papier jaune (où je "découvre" en fait mon autoportrait...), je les reporte sur cet encadré blanc et électronique que m'offre Blogger, me proposant de les projeter ainsi vers d'autres rétines, d'autres yeux (ces fameux "miroirs obscurcis et plaintifs !")...

Je sortais d'un théâtre où tous les soirs je paraissais aux avants-scènes en grande tenue de soupirant. Quelquefois tout était plein, quelquefois tout était vide. Peu m'importait d'arrêter mes regards sur un parterre peuplé seulement d'une trentaine d'amateurs forcés, sur des loges garnies de bonnets ou de toilettes surannées, - ou bien de faire partie d'une salle animée et frémissante, couronnée à tous ses étages de toilettes fleuries, de bijoux étincelants et de visages radieux. Indifférent au spectacle de la salle, celui du théâtre ne m'arrêtait guère, excepté lorsqu'à la seconde ou à la troisième scène d'un maussade chef-d'oeuvre d'alors, une apparition bien connue illuminait l'espace vide, rendant la vie d'un souffle et d'un mot à ces vaines figures qui m'entouraient.

Je me sentais vivre en elle, et elle vivait pour moi seul. Son sourire me remplissait d'une béatitude infinie ; la vibration de sa voix si douce et cependant fortement timbrée me faisait tressaillir de joie et d'amour. Elle avait pour moi toutes les perfections, elle répondait à tous mes enthousiasmes, à tous mes caprices, belle comme le jour aux feux de la rampe qui l'éclairait d'en bas, pâle comme la nuit, quand la rampe baissée la laissait éclairée d'en haut sous les rayons du lustre et la montrait plus naturelle, brillant dans l'ombre de sa seule beauté, comme les Heures divines qui se découpent, avec une étoile au front, sur les fonds bruns des fresques d'Herculanum !

Depuis un an, je n'avais pas encore songé à m'informer de ce qu'elle pouvait être d'ailleurs ; je craignais de troubler le miroir magique qui me renvoyait son image
(...)

C'est amusant, je me souviens maintenant avoir déjà cité cette dernière phrase quelque part ailleurs...

Table ronde de bloggers corses (22 mai 2010, Bastia)

Eccu issu resucontu (una prova di resucontu, pudete mandà mi cumenti, serà ghjuvevule !)

Eranu invitati :
- Angèle Paoli, pè a so rivista elettronica "Terres de femmes"
- Marcu Biancarelli, pè u so situ persunale "Biancarelli in Barsaglia" è u situ cullettivu "Gazetta di Mirvella"
- Xavier Casanova, pè u so blog "Isularama"
- ed eiu ("Pour une littérature corse" : ghjè quì !)

1ère question : quel(s) désir(s) fut (furent) à l'origine de la création de votre site internet ? Quelle était la part de la Corse dans cette création ?

Angèle Paoli :
- La création de ma revue littéraire a pour origine le désir de prendre la parole pour la donner à mes aïeules qui ne l'avaient pas eue durant leur vie et dont on ne parlait pas. Donc la Corse est au centre de ce désir, dans la Corse, le Cap Corse, dans le Cap, mon village.
- puis il y a eu une évolution de ce premier site "familial" du fait d'une situation de blocage : il y avait peu de documents écrits ou oraux sur ces aïeules. J'ai décidé de me décentrer, ou plutôt de jouer sans cesse entre le dedans et le dehors, d'être en même temps dehors et dedans, sur la frontière.
- quand j'étais sur le Continent, cette revue était un moyen de me guérir de ma nostalgie de la Corse ; maintenant que je vis en Corse, depuis 4 ans, c'est une façon d'aller ailleurs.
- nous sommes trois - Yves Thomas, pour l'édition et le webmastering ; Guidu Antonietti di Cinarca pour la direction artistique et moi-même comme responsable de la rédaction - qui travaillons 6 heures par jour depuis décembre 2004 ; c'est une passion têtue, tenace, pour la Corse, la littérature et l'écriture.
- c'est aussi une façon d'éviter de quémander les éditeurs ; le site est un tremplin mais aussi un lieu de liberté où l'on n'a de compte à rendre à personne ; et puis il faut trouver quelque chose à faire au village quand on ne sait pas garder les bêtes et faire le fromage ; la première question fut donc : est-ce que le village est connecté à Internet ?

Marcu Biancarelli :
- le blog personnel est une vitrine promotionnelle, pour suppléer l'éditeur qui n'était pas en capacité de faire cette promotion. Ainsi l'auteur se prend en main.
- le recours à Internet s'est fait aussi sur fond d'ennui ; mais ce ne fut pas un vrai plaisir de fabriquer ce site-là.
- le site "Gazetta di Mirvella", par contre, me procure beaucoup de plaisir. Il est beaucoup plus collectif. Il s'agit d'un lieu alternatif, où les valeurs sont inversées, l'éloge passe par l'insulte : c'est une franche déconnade. Il s'agit d'éviter l'esprit bien pensant, rigide, trop sérieux. Ce lieu se présente comme une pieve en guerre contre le royaume de Corse dirigé par Pascal Paoli ; cela a commencé en 1759 (nous sommes maintenant en 1760, depuis le 1er janvier 2010) ; dans cette pieve se réunissent des amoureux de l'écriture - en langue corse ou en langue française - qui participent notamment à des concours d'écriture (dernièrement, le concours du "bâton merdeux").
- la Corse est au départ de ces sites, il s'agit d'accueillir une certaine créativité présente sur l'île et que l'on ne voit pas forcément en librairie mais aussi de regarder ailleurs, vers d'autres littératures. On peut citer certaines écritures virtuoses et étonnantes : Mincchjudargenttu ou Stéphane Malachamé. L'outrance est souvent présente, la violence, le pornographique aussi, tous les sentiments humains sauf les sentiments fleur bleue.

Xavier Casanova :
- il y a deux origines à ce blog "Isularama", qui se veut un poste de guet pour regarder la vitalité culturelle en Corse et pour promouvoir les publications de la maison d'édition La Gare :
- tout d'abord, une expérience d'écriture (avec "Codex Corsicae" chez Albiana) qui se solde par une déception devant le manque de valorisation. Le constat cynique et cruel est le suivant : le texte est secondaire, il est prétexte à audience. Il s'agissait donc soit d'assumer cela soit de le détourner. Le détournement est le seul moyen de revenir au contenu du livre. D'où l'aspect décalé des billets du blog, des microvidéos, etc.
- la deuxième source est une expérience dans la presse avec la revue culturelle "Ci simu" (durant 7 numéros). Ce magazine bimensuel avait pour sous-titres : "Isularama" et "Corsicazine". Il s'agissait pour moi que ce magazine soit un support moins d'encensement que de recensement et surtout de critique. Afin de participer au développement de la culture. Or le Web permet une plus grande réactivité et de suivre au jour le jour la créativité culturelle en Corse sans imaginer une usine à gaz pour s'en faire l'écho. Le modèle est "Terres de femmes".
- le blog est un support extraordinaire. Il s'agit de créer un courant d'intérêt suffisant sinon on risque l'épuisement dans le répétitif.

François Renucci :
- j'évoque le fait que le blog "Pour une littérature corse" a été créé pour rendre visible les livres corses par l'intermédiaire des différentes façons dont ils sont lus, par des lecteurs réels, au moyen de billets contenant des "récits de lecture" (au minimum constitués par une citation du livre lu, au maximum par une étude poussée de celui-ci), billets qui idéalement sont ensuite commentés. Depuis janvier 2009, 37 billets (sur les 261) émanent de lecteurs autres que moi-même ; plus de la moitié des 1 900 commentaires aussi. Les discussions sont parfois vives, emportées ; bien des sujets ont suscité des réactions enthousiastes ou outrées.
- la Corse est centrale : le désir porte sur la promotion de la littérature corse, entendue comme l'ensemble des livres qui nourrissent l'imaginaire corse, quelle que soit la langue d'écriture. La conviction est qu'une littérature existe grâce aux lectures réelles et fait ainsi son office dans l'évolution des écritures et des mentalités.

2ème question : êtes-vous satisfaits de l'évolution de votre site internet ? Quelles conséquences en attendez-vous ?

Angèle Paoli :
- Oui, une grande satisfaction, car le site Internet permet d'innover en permanence : par exemple avec l'Anthologie poétique féminine (70 femmes écrivains sélectionnées à ce jour), avec des poèmes inédits, pas forcément par des auteures connues, c'est un lieu d'ouverture qui continuera jusqu'en décembre. Tout cela se fait à moindre coût alors qu'un tirage papier se heurte aux contraintes financières et potentiellement au refus des éditeurs.
- le succès du site "Terres de femmes" (beaucoup de monde le visite, le temps moyen de la visite est de 7 minutes) fait que je reçois beaucoup de livres en service de presse : les auteurs demandent à être présentés car cela assure une audience considérable.
- ce site me permet d'avoir accès aux auteurs vivants.
- à partir de ce site, je mène des ateliers de traductions (notamment avec le Scriptorium de Marseille), des interventions dans divers festivals littéraires (à Montpellier, à Lyon aussi pour présenter Antonella Anedda).
- c'est comme reprendre un travail universitaire mais dégagé du poids des contraintes spécifiques à ce milieu.
- c'est un lieu de reconnaissance et de visibilité.
- c'est un lieu de partage et de proposition : par ewemple, je ne connaissais pas Sylvie Saliceti, il y a quelques mois, et pourtant nous nous sommes trouvés une communauté d'esprit très rapidement ; ce qui fait qu'elle est venue très volontiers, à ma demande, à la soirée de présentation de "Pépé l'Anguille", à Aix-en-Provence, dans les locaux de l'amicale corse. C'est donc une chaîne qui se construit ; un work in progress qui ressemble au bonheur. La revue évolue grâce à une réflexion quotidienne. Les billets sont relus trois fois avant d'être publiés, nous tenons à ce qu'ils soient parfaits pour éviter les erreurs qui se répandent très vite sur le Web.
- C'est une oasis de paix, au contraire d'autres lieux où se déploient des discussions très animées.

Marcu Biancarelli :
- Sur la "Gazetta di Mirvella", c'est bien plutôt la guerre qui est la règle ! Le site est réactif, interactif. Les participants se répondent. C'est un cadavre exquis permanent, jubilatoire, qui détourne les codes. Il n'y a pas d'autre objectif : vient qui veut.
- Il s'agit d'ouvrir un espace de culture alternative, un peu subversive ; cela permet notamment de réveiller la vraie création. À Mirvella, les fautes sont la règle, les grammaires sont réinventées. Je pense au langage créé par Mincchjudargenttu.
- Mais ce n'est pas du militantisme, il n'y a que de la jubilation et on attend qu'il en sorte quelque chose de bon ; c'est vrai qu'un des effets réels du site Internet a été de provoquer des rencontres avec des personnes que je n'aurais normalement jamais croisées. Des talents ont ainsi été découverts, des amitiés sont nées.

Xavier Casanova :
- Satisfaction ? Mais le blog est né de l'insatisfaction ! (c'est ma réponse paradoxale).
- Le blog est pour moi est un lieu qui accueille tous mes excès de créativité, quoi qu'il arrive: c'est une satisfaction autiste, car elle ne dépend pas du fait d'être lu ou pas lu. Cette satisfaction ne se détruira jamais.
- Mais il y a d'autres objectifs : c'est le deuxième niveau de satisfaction. Il s'agit des retours, des réponses, des échanges, des discussions. Cela permet d'aller plus loin et de montrer ce qui est vivant en Corse en matière de culture.
- Or du point de vue de la qualité de ces échanges, le blog "Isularama" n'est pas encore parvenu au niveau de ce qui se passe sur "Terres de femmes" (produit très travaillé, avec un public stable, fidèle, de qualité), sur la "Gazetta di Mirvella" (où des étincelles créent des liens), ou sur "Pour une littérature corse" (où existe un réseau de participants occasionnels ou réguliers).
- Donc, la satisfaction est aussi de voir que nous sommes nombreux à utiliser les outils numériques qui sont des facteurs de changement, d'évolution. Ce sont les satisfactions du devenir.

François Renucci :
- Non, pas de satisfaction totale : je trouve qu'il est encore difficile d'avoir accès au réel des lectures. Cela est plus ou moins empêché par des scrupules, des complexes, des difficultés, des injonctions collectives sur ce qu'il est bon de penser de ceci ou de cela. J'espère donc qu'au fur et à mesure nous atteindrons cet espace de mise en mots des expériences réelles des lecteurs face à tel ou tel livre.
(Je rajoute ceci, que je n'avais pas dit ce jour-là) : Cependant, je suis très satisfait de voir que le blog devient de plus en plus collectif, avec des dizaines de participants. L'idéal pour moi serait que ma part personnelle ne représente pas plus d'un quart des écrits publiés sur le blog (billets et commentaires).

Deux questions dans le public, par un monsieur :

- Question 1 : Je suis un gros lecteur, mais pas un lecteur de blogs. Pour plusieurs raisons : je trouve très difficile de parler des livres qu'on aime, c'est très intime, il faut se livrer ; lorsque quelqu'un parle d'un livre, il y a toujours le risque d'une sorte de terrorisme intellectuel. Qu'en pensez-vous ?

François Renucci :
- Effectivement, parler des livres sur un blog est difficile ou sujet à dérive. C'est justement pour cela qu'il est bon de s'y essayer. La question est aussi : à quelles conditions peut-on se dire tranquillement qu'on n'est pas d'accord ? Certaines des discussions sur le blog "Pour une littérature corse" sont très animées, et cela ne convient pas à tout le monde, cela fait même fuir certains. D'autres m'écrivent ensuite sur mon mail personnel, pour continuer à développer leur point de vue et ensuite je me permets de leur demander si je peux prendre des passages de leur réponse pour les replacer sur le blog ; généralement la réponse est oui, une fois que nous sommes d'accord sur la bienveillance de chacun. La question pour moi est celle de la poursuite du dialogue ; et cela ne peut jamais se faire sans heurts, frictions, malentendus, coups de griffes conscients ou inconscients. (Je ne suis plus très sûr d'avoir répondu cela, je n'ai pas pris de notes pendant que je parlais !)

- Question 2 : Personnellement, je préfère le contact direct, vivant avec les gens et les auteurs. Comment faites-vous pour passer des heures entières de votre journée devant un écran ?

Xavier Casanova :
- Autant poser cette question à un peintre : comment faites-vous pour passer autant de temps devant votre toile ? Il se trouve que l'outil numérique est extraordinaire : il est à la fois téléphone portable, musée, toile et cimaise. Il y a du texte, de la musique, de la vidéo. J'éprouve une fascination certaine pour ces objets.
- Il faut consacrer du temps aussi pour utiliser ces outils d'une façon originale. Il s'agit d'expression visuelle du texte, généralement négligée sur le Web. Ce travail a plusieurs dimensions et le temps passé est aussi celui nécessaire à la résolution de problèmes.

Angèle Paoli et Yves Thomas :
- Les textes choisis s'intègrent dans un autre environnement. Il y a tout un travail informatique, technique, sur des bases de données, parfois détournées. Cela demande des heures de réflexion, comme par exemple pour l'Anthologie poétique féminine qui est en fait un deuxième blog à part entière.

Xavier Casanova :
- Dans tous les cas, il s'agit d'accélérer l'accès aux textes, aux sens, à la poésie, à l'émotion.

Angèle Paoli :
- C'est aussi un travail subversif, qui s'oppose au lavage de cerveau qui prédomine dans les médias, où tout se vaut. Il s'agit de faire des choix, de proposer un autre regard, d'être en attente aussi.

Marcu Biancarelli :
- Oui, il y a de la folie à passer autant de temps devant un écran. Mais c'est inévitable parce que notre travail moderne d'écrivain s'inscrit dans ce champ, qui représente une ouverture infinie.


Et je conclus en remerciant les organisateurs d'Arte Mare, notamment Michèle Corrotti, pour avoir organisé une telle table ronde consacrée pour la première fois au monde littéraire corse sur le Web. J'insiste sur le fait que les quatre invités ne représentent pas à eux seuls tout ce qui se fait dans ce domaine, loin de là ; je cite donc, avec l'aide des autres invités :
- l'association Musa Nostra
- le travail de Stefanu Cesari
- le blog de Norbert Paganelli
- le Foru Corsu
- Corsicapolar
tout en indiquant que cette liste est loin d'être exhaustive et qu'il sera nécessaire de recommencer de tels débats pour réfléchir aux enjeux du monde numérique pour la littérature corse.

(J'ajoute ici et maintenant qu'avant de venir au lycée Jean Nicoli, je suis passé dans la librairie Album et La Librairie des Deux Mondes, et que j'ai acheté le dernier numéro de Bonanova (n° 23) dans lequel vous pouvez trouver deux pages sur la "blogosfera corsa" ou le "web corsofonu", issues d'un travail de Sébastien Quenot : son tableau recense une cinquantaine de sites ! Eccu unu strattu :

"Pari chì oghji ch'hè oghji u finominu di a prisenza di un dì literariu in corsu nantu à Internet fussi propiu di primura."

c'est vrai n'est-ce pas ?).

mercredi 26 mai 2010

Comment ça fonctionne ici

Edouard Glissant, dans son "Anthologie du Tout-monde", cite un morceau du grand poème de Cendrars ; je cite moi-même un morceau de ce morceau, lu ce soir. Et devinez ce que fait Cendrars...

Bonne lecture.

(...)

J'ai peur
Je ne sais pas aller jusqu'au bout
Comme mon ami Chagall je pourrais faire une série de tableaux déments
Mais je n'ai pas pris de notes en voyage
"Pardonnez-moi mon ignorance
"Pardonnez-moi de ne plus connaître l'ancien jeu des vers"
Comme dit Guillaume Apollinaire
Tout ce qui concerne la guerre on peut le lire dans les Mémoires de Kouropatkine
Ou dans les journaux japonais qui sont aussi cruellement illustrés
À quoi bon me documenter
Je m'abandonne
Aux sursauts de ma mémoire...


(...)

lundi 24 mai 2010

François-Michel Durazzo évoque la "saveur" des langues

Voici donc un écho numérique du débat qui s'est engagé samedi après-midi lors de la présentation de "Pépé l'Anguille", traduction en français de "Pesciu Anguilla", de Dalzeto. (C'était au lycée Jean Nicoli, à Bastia, dans le cloître plus précisément, à l'initiative d'Arte Mare, pour le festival "Histoire(s) en mai").

François-Michel Durazzo m'envoie ce point de vue (merci à lui !). Bonne lecture et n'hésitez pas à réagir, compléter, discuter, bien sûr.

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De l'échec en traduction

Au cours de la présentation de la traduction "Pépé l'Anguille", j'ai employé le mot échec et je voudrais m'en expliquer, pour éviter tout malentendu, de même que je voudrais revenir sur ce que certains appellent la supposée « saveur » ou « couleur » qui pourrait se perdre. Je m'excuse d'avance auprès de ceux qui pourraient trouver un peu longue cette intervention.

Evidemment, toute traduction ne peut s'envisager que comme un échec si on la regarde du côté de la perte. Il y a toujours quelque chose d'intraduisible, et qui l'est d'ailleurs d'autant plus que la langue cible et la langue source sont éloignées l'une de l'autre. Evidemment, dans la traduction, l'original a perdu sa saveur propre, mais pour en retrouver une autre celle de la langue cible, pourvu que le résultat n'aplatisse pas tout, ne donne pas dans la langue d'arrivée un produit insipide. Cet échec fatal, la perte de la saveur originale, ne se justifie que par le gain de cette nouvelle saveur.
Pour ceux qui la regrettent, je ne m'en fais pas et je ne les plains pas, car ils n'en sont conscients que parce qu'ils sont en mesure de savourer le texte original, ils n'ont nul besoin de traduction, et n'ont donc rien perdu. Tout au plus jetteront-ils un coup d'oeil amusé ou curieux pour comparer les deux textes. Ils pourront mesurer les écarts, porter un jugement et se conforter dans le sentiment que l'original est supérieur. Tant mieux ! C'est vrai ! Les traducteurs ne sont de toute manière pas des alchimistes et ne transforment pas le plomb en or, un mauvais roman en chef-d'oeuvre. Ils tentent de rendre justice à un texte dont ils apprécient la valeur sans l'améliorer. Tout au plus peuvent-ils éliminer dans leur traduction les erreurs de l'original, quelques coquilles, par exemple dans les citations. C'est ce que j'ai fait dans la transcription du monologue occitan, chanté par Pergaloun, par exemple.
Cependant, que ces lecteurs bilingues ne détournent pas de la lecture d'une traduction ceux qui pourraient être encouragés à lire un jour l'original. Quant à ceux qui ne sont jamais en mesure de savourer ce dernier, ils ne seront pas conscients des pertes ou des gains. Qu'ils lisent l'oeuvre comme un texte autonome, né de l'original, et qui peut lui ressembler comme un fils ressemble plus ou moins à son père. Il porte de toute manière son empreinte génétique.

De la saveur du corse et des langues en général

A propos de la saveur, je voudrais manifester mon agacement.
J'entends souvent des Corses (mais pas seulement) parler de la saveur de notre langue opposée au français, de sa subtilité, du fait que ce serait la langue du coeur, des tripes et pourquoi pas de leurs doigts de pied. Le français serait une langue rigide, intellectuelle, rationnelle. Ils confondent ce qu'est le français vivant à l'oral et à l'écrit, celui de Bérurier et de San Antonio, des faubourgs de Paris et des villages de Touraine, avec celui du Bled et de leurs grammaires d'écolier. Je voudrais qu'ils aillent demander à un paysan beauceron ou champenois, à un ouvrier de Ménilmontant qui n'a pas fait de longues études, si la langue française n'est pas la langue de ses tripes, ou s'il la trouve rationnelle ou intellectuelle.

Toute langue vivante est toujours celle des tripes de quelqu'un, de même que toute langue, même sans tradition littéraire, peut se mettre un costume et une cravate, devenir formelle ou intellectuelle. Toute langue est à la fois capable d'être terriblement banale dans son usage quotidien ou étonnante, audacieuse dans ses créations orales ou écrites. Si vous lisez et voulez appliquer la syntaxe du Corse de Santu Casta, avec ses interdictions et ses règles, ou la grammaire de Franchi, vous trouverez le corse aussi normé que le français le plus académique, si vous lisez Dalzeto, qui écrit comme il le sent et qui invente en vrai créateur, vous verrez que le corse n'est pas différent des autres langues, chacune a une saveur propre.

Je constate donc qu'en général ceux qui pleurent après la saveur perdue d'un texte ou d'une langue sont comme les nostalgiques qui, au prix de la falsification de l'histoire et de la mythification du passé, regrettent un temps (u tempu chì Berta filava!) qu'ils sont en général les premiers à enterrer, qu'ils ont déjà enterré, une langue qu'ils ne parlent pas à leurs enfants. De temps en temps, pour donner le change, ils manient les quelques bribes que leur ont transmis leurs parents entre deux phrases en français, en déclarant au passage la richesse ou la saveur de tel ou tel texte corse, ils s'imaginent faire croire à ceux qui sont encore plus ignorants, que, eux au moins, ils sont restés fidèles à leur héritage. Ils me font penser aux Posidoniens qui ont inspiré au poète valencien Enric Sòria ce poème, traduit en corse (je ne sais si savoureux) dans un numéro de Bonanova déjà ancien.

Périphrase

Mais ils célèbrent encore une fête grecque
où, se réunissant, ils se rappellent
d'antiques paroles et coutumes.
Alors, les uns avec les autres
ils se lamentent et pleurent.

Athénée conte l'histoire des Posidoniens,
Grecs qui sur la mer Tyrrhénienne trouvèrent une patrie.
Entourés d'étrangers, d'Etrusques, de Latins
ils oublièrent leur langue, le grec.
Et des coutumes du passé, les misérables,
ils n'avaient conservé qu'une fête grecque.
Une fête de claires cérémonies,
de musique, de feux et de ramées.
Ils répétaient alors des paroles grecques
qu'ils ne comprenaient plus, et ils pleuraient.
Cette lamentation commune était leur fête.
Leur fête grecque.

Athénée pieusement le raconte,
car ils méritent notre pitié ceux qui perdent
le fragment de beauté d'où ils venaient.

(Rythme d'attente, 1993)

dimanche 23 mai 2010

"Voyage", d'Angèle Paoli lu par CR

Voyage

D'un rêve à l'autre voyage
voyage dérisoire du non-dire
en négatif dans ta mémoire
encore blanchie de tes regards noyés
arabesques du grimoire de ta vie
tarentules de ton passé
étirant leurs algues grenues
dans les interstices sinueux et glabres
de la peau de tes veines
voyage du non-moi
les cellules du temps s'étirent
phosphènes papillonnant
sous tes paupières closes
fermer les yeux encore
laisser venir à toi le rêve
te blottir dans le silence
la pâleur blême de la nuit
te lover dans ses entrailles
flotter et t'enfouir
t'enrouler te draper
dans sa toile invisible
voyage à l'envers succion
tu te laisses aspirer
par le courant de la vie sombre
tu t'allonges t'étires
dans ce flux qui t'enlève
te brasse et t'enserre
tu t'enveloppes tu te glisses
ta chevelure t'emporte
tu remontes
le courant de la nuit
l'eau étroite s'infiltre sous tes ongles
des ondes de couleur nue te bercent
tes membres s'étirent au bout de toi
tes limites s'estompent
tu te fais magma opaque
tes mains pèsent lourdes épaisses
elles s'engluent
dans ta chair tes doigts s'élargissent
engourdis dans leur membrane
ils se fondent ensemble
se soudent à tes membres
tu deviens masse
ton corps
se plombe
dans une opacité
d'avant ta naissance.



Voici donc par CR le choix d'un des poèmes du recueil "Noir écrin. Poésie cap-corsaire" publié par Angèle Paoli aux éditions A Fior di Carta, en 2007.

Pourquoi ce choix ?

- c'est une remontée à la naissance, comme faire un tour sur soi-même, tout ce qui peut arriver de négatif dans la vie, dans la mémoire, et après tout s'estompe, se défait, tu vois ? ça bascule à "voyage à l'envers succion", tu repars à la naissance, c'est comme si tu étais refaite ; ton corps se défait, se désagrège, les membres, tu t'étires et puis tu deviens une masse comme tu étais un foetus, c'est une masse au départ ; je ne sais pas comment l'expliquer ; je cherche un mot (silence). Je n'arrive pas à exprimer ce que je ressens en le lisant, c'est...

Un autre poème du même recueil, choisi par CR, pour ne pas finir :

À flux tendu

À flux tendu
à pleurs versés
à flots coulés
à corps perdu
et retrouvé

à cran d'arrêt
à flux tendu
à pas comptés
à temps volé
à corps perdu
et retrouvé

à vie faussée
à temps passé
à flux tendu
à sommeil bu
à mots couvés
à corps perdu
et retrouvé

à rire ému
à baisers bus
à rêves nus
à flux tendu
à main tendue
à temps rompu
à corps perdu
et retrouvé.

Comment j'ai lu "Corse Matin", ce matin

De la honte... voilà le sentiment ressenti à la lecture de l'article du quotidien Corse-Matin (dimanche 23 mai 2010) consacré aux tables rondes qui eurent lieu le samedi après-midi 22 mai, au lycée Jean Nicoli à Bastia, dans le cadre du festival "Histoire(s) en mai", organisé par Arte Mare.

Il paraît que c'est un sentiment noble, la honte. Vous m'excuserez donc de l'exprimer ici de façon un peu vive. Mais justement, ce dont il a été question hier après-midi, c'est de la vie, de la vitalité, du vif de la littérature, et notamment de la littérature corse.

Alors voici l'article (en caractères rouges) et les mots que j'ai prononcés ce matin en le lisant (en caractères bleus). Evidemment, vous l'avez deviné, il s'agit pour moi de corriger, compléter, nuancer ; et non d'en vouloir à qui que ce soit ! Les choses sont comme elles sont... mais enfin, on aimerait parfois que le relais journalistique ne soit pas si pauvre, non ?

(Par ailleurs, je prendrai le temps de faire un autre billet qui soit un compte rendu détaillé des propos des blogueurs invités - j'ai pris des notes -, et un compte rendu moins détaillé des propos des romanciers que j'ai eu le plaisir de présenter - je n'ai pas pris de notes).

Allons-y :

* histoire(s) en mai
Blogs, traduction et auteurs au programme de la der'

Changement de décor dans le cloître du lycée Jean Nicoli pour la dernière journée de la manifestation.
Des canapés fluos (oui, c'est exact) remplacent les bancs gris et bleus habituellement dévolus aux potaches, une table drapée de rouge (oui) accueille les premiers intervenants de l'après-midi : les bloggueurs de littérature corse. François Renucci en est l'animateur. À ses côtés, Angèle Paoli, Marcu Biancarelli et François Renucci (ah non, c'est Xavier Casanova qui était juste à côté de moi ; c'est une coquille) font part, devant une trentaine de passionnés (c'est ce que j'ai compté aussi, et effectivement les gens dans le public avaient l'air très intéressés, plusieurs d'entre eux ont spontanément demandé la parole d'ailleurs, ce qui fait très plaisir), de leurs diverses expériences de littérature sur le web.
En créant un blog dédié aux femmes (mais pourquoi ne pas donner le nom et l'adresse de cette revue littéraire sur Internet ? : "Terres de femmes" ; http://terresdefemmes.blogs.com) (de plus cette revue laisse une très large place aux écritures de femmes mais il y a de très nombreux articles consacrés à des écrivains masculins, de toutes nationalités), la première intervenante trouve dans cet espace numérique la possibilité de faire paraître des écrits en souffrance. (Pas seulement, et pas d'abord : d'abord il s'agissait de donner la parole à ses aïeules, d'évoquer la Corse, puis de découvrir d'autres écrivains et notamment de rendre public des poésies qui bien souvent sont difficiles à publier et à faire connaître parce que la poésie ne se vend pas) "Nous sommes trois à travailler 6 heures par jour depuis 2004. C'est une façon d'exprimer notre passion pour la Corse, la littérature et l'écriture", lance Angèle Paoli. (pour le coup, la citation est tout à fait exacte)
Pour Marcu Biancarelli, son arrivée sur la toile est marquée par le besoin d'avoir, au départ, une vitrine promotionnelle. "Je n'ai pas pris un plaisir particulier, mais il faut reconnaître qu'Internet offre, gratuitement, une possibilité phénoménale d'expression", avoue l'auteur. (ok, mais citons le nom et l'adresse du site en question : "Biancarelli in Barsaglia" ; http://forubiancarelli.forumactif.net/) (mais surtout, l'essentiel des propos de MB a porté sur le plaisir extraordinaire pris à l'animation du forum "Gazetta di Mirvella" - lieu alternatif, d'une grande liberté d'expression, carnavalesque, outrancier, créatif : http://mirvellagazetta.forumactif.net/)
Enfin, Xavier Casanova pense que deux expériences l'ont amené à réaliser un blog (dont voici le nom et l'adresse : "Isularama" ; http://isularama.canalblog.com/) : son premier ouvrage pour Albiana ("Codex Corsicae"), avec la sensation d'un manque de retour par rapport à ses attentes d'auteur et son immersion pendant sept mois dans la presse. (avec le magazine culturel "Ci Simu")
"L'oeuvre aujourd'hui, c'est la personne, le texte est secondaire", conclue-t-il. (Cette phrase est un constat cynique en aucun cas une profession de foi, au contraire il s'agit pour XC de détourner cet état de fait pour revenir aux textes) (Mais l'essentiel du propos de XC fut d'insister sur la volonté de participer à la mise en valeur de ce qui "est vivant" dans la culture corse auourd'hui, avec un esprit décalé et enthousiaste, en travaillant la forme des textes proposés sur le Web, etc. etc.) Après une synthèse de François Renucci (qui est animateur d'un blog ouvert depuis janvier 2009 pour amener qui le voudra à parler de ses lectures de livres corses, écrits en quelque langue que ce soit, où l'on discute parfois vivement : "Pour une littérature corse" ; http://pourunelitteraturecorse.blogspot.com) c'est au tour de Marie-Jean Vinciguerra d'évoquer la traduction (par François-Michel Durazzo) en langue française de "Pépé l'anguille" (il faut absolument ici signaler, en les remerciant, l'existence des éditeurs de l'ouvrage, Bernadette Paringaux et Jean-Paul Blot, des éditions Fédérop, venus spécialement de Dordogne pour présenter leur dernier-né, un très beau livre !).
Quelque chose de rare dans le sens corse continent (est-ce l'expression qui fait allusion aux éditeurs ?), pour le premier roman (de langue) corse (indiquer le nom de l'auteur ! : Sebastianu Dalzeto, auteur de romans et de poèmes en langue française, médiocres de l'avis général, mais surtout de deux romans magnifiques en langue corse, "Pesciu Anguilla" (1930) et "Filidatu è Filimonda" (1936), très importants pour la littérature corse) sorti dans les années trente (1930), réédité vers 1980 (1990 en fait, par les éditions La Marge, puis en 2000 de nouveau par La Marge et enfin en 2009 par les éditions Sammarcelli) et enfin édité en français (par les éditions Fédérop, donc) (Mais encore, en cours de traduction en italien et en catalan ! Fantastique pour un livre de langue corse qui sort ainsi de la confidentialité, non ?). "Mais dans ce changement de statut, les expressions locales disparaissent et avec elles le pittoresque du récit", raconte un habitué des revues littéraires. (Alors là, c'est terrible : il y a eu vingt minutes de dialogue entre FM Durazzo et MJ Vinciguerra pour expliquer par le menu combien le travail de traduction a visé le meilleur équilibre entre un texte en français, fluide et entraînant et la saveur des expressions et de l'esprit de langue corse !) L'après-midi s'est poursuivi avec "l'histoire au miroir de la fiction" (c'est le thème d'une table ronde qui a eu lieu en fait avant la présentation de "Pépé l'anguille" ; table ronde qui, sous la direction de l'écrivain Michèle Acquaviva-Pache, réunissait Olga Lossky pour "La révolution des cierges" ; Marta Morazzoni, absente mais représentée par sa traductrice - me semble-t-il, Marguerite Pozzoli, pour "L'invention de la vérité" ; Giovanni Maria Bellu pour "L'homme qui voulut être Peron" et Jean-Claude Macé pour "Les braises des années rouges") et une table ronde d'éditeurs. (qui n'a pas eu lieu, pour cause d'heure trop tardive... Par contre s'est déroulée une dernière table ronde consacrée à quatre romanciers, que j'ai animée, et qui réunissait Marie Casanova pour "Et l'odeur des narcisses", Nadia Galy pour "Le cimetière de Saint-Eugène", Georges de Zerbi pour "L'ultima pagina" et Marcu Biancarelli pour "Murtoriu")

Voilà, je pense sincèrement que le public et la quinzaine d'auteurs présents ce jour-là auraient aimé un compte rendu qui rende justice de la qualité de cette manifestation, surtout dans le quotidien le plus lu de l'île. Une autre fois peut-être ?

jeudi 20 mai 2010

De l'amateur, du bricoleur

Mais que se passe-t-il ici ? Peut-on proposer aussi légèrement des poèmes et des textes dont on ne connaît rien de rien ? Qu'en est-il de ces très nécessaires comptes rendus, développés et rigoureux, dont nous avons tant besoin ? Pourquoi cet égarement, cet appariement de fortune, pour aller où ? Avec qui ?

Alors, bien sûr, il ne s'agit pas de s'entêter dans une manière, mais bien de varier les plaisirs, d'essayer, au risque de se fourvoyer. Et puis après ?

Qui dit quoi ?

Mardi soir je discute avec Pascal Génot, nous venons de voir "Bastia l'hiver" (superbe ; et je dois dire que la discussion avec Pascal a augmenté en moi la puissance de cette pièce ; nous critiquions la pièce - une certaine monotonie notamment -, devisant tranquillement, au comptoir du théâtre des Bernardines, quand nous croisâmes le regard de l'auteur, Noël Casale, que j'avais déjà rencontré la semaine auparavant, très sympathique, et puis Antonia Buresi, la comédienne, impressionnante, voix et corps qui ne font plus qu'un, la nudité comme un costume pour dire la vérité, la projeter, montrer l'invisible corps du frère disparu, ou son corps sanglant, ou bien encore le corps de plaisir de la touriste, mais bien sûr en fait les trois en même temps.)

Mais qui a vu cette pièce ? J'ai ainsi vu les quatre pièces bastiaises de Noël Casale : il faut voir les quatre (même si pour moi la plus réussie, c'est "Forza Bastia", celle qui parvient à ne jamais lâcher le spectateur, qui le conduit de drôlerie en fantaisie jusqu'à l'émotion sublime du dernier geste - non, je ne vous dirai pas lequel !!), il faut voir les quatre pièces, quatre variations scéniques sorties du chaudron du passé familial, matière sempiternelle dont on a l'impression qu'on ne peut sortir, ou comment créer des horizons, même brefs, même obscurs, à l'intérieur du gouffre : en hurlant de rire (je pense à la tirade d'Ulysse dans "Reprise d'un triomphe") ou en éructant tout le dérisoire des vies gâchées (dans la fin des années 80, à Bastia, l'hiver). J'en parle ici trop rapidement, pas le temps désolé, plus tard, j'espère, plus longuement, mais... Mais il faut vraiment voir les quatre pièces, dans la foulée, combien je suis heureux d'avoir pu le faire ! Et dire qu'une cinquième est en préparation !!

Mais ce n'est pas ce que je voulais dire ce soir, bien sûr !

Je voulais citer ici deux poèmes. Pourquoi ? Mais parce qu'ils m'ont plu... Et pourtant je les ai lus vite, presque en passant, est-ce possible d'être aussi désinvolte avec la littérature corse ? Ce soir oui, pour moi.

Alors, suite à une rencontre numérique - bonheur du Web - voici un poème de Pierre Bacchelli (voir ici son blog - longue vie à tous les blogs littéraires corses !) :


Loin

Dans un coin du jardin où la mer devient carrossable, ils chargent les braises

du dernier foyer de la nuit dernière.

Ils avaient laissé les rivages plus lourds près de la mare.

-Immédiateté pantelante, chiques fébriles-

Ils passèrent le cap du Grand Cimetière par vent de travers.

Récifs rouillés, remous boueux. Anse des Rêves Eunuques, Passe des Jardinières

Fardées, Défilé des Debouts Tristes, Fosse des Souvenirs, Rochers

des Encens.

Puis la haute mer et sous l'horizon l'Ile de la Nef.

1984

(Voir ici pour la version complète du poème, je veux dire avec son exergue, tirée de Saint-John Perse, mille excuses, je me suis permis de l'enlever ici !)

Et puis, comme hier, nous avons accueilli (dans le local de l'amicale corse d'Aix), François-Michel Durazzo, le traducteur de "Pesciu Anguilla", qui devient "Pépé l'Anguille", grâces soient rendues aux éditeurs Bernadette Paringaux et Jean-Paul Blot, éditions Fédérop - oui, j'ai pris des notes, j'ai pris des notes, bientôt un compte rendu ici même (et peut-être un autre grâce à Sylvie Saliceti ?)...

... donc, comme hier, François-Michel Durazzo était là, ce soir je feuillette à nouveau "Corsica calling" et plutôt que de reprendre la poésie de Jacques Biancarelli, ce petit poème, plutôt :

L'élan dans mon poème
est cet enfant pensif
qui collait son oreille contre l'écorce de l'arbre
pour entendre la mer
faute de coquillage.

Mais cet arbre qu'écorce
la langue qui le sculpte
se fait chair
dans mon regard.

Et tu lèves les yeux.


(extrait du recueil "Finitarri", pas encore lu...)

Et bien sûr - je sais que cet appel énerve un de mes amis... - vous n'êtes pas obligés d'aimer ces poèmes... Mais après les avoir critiqués, faites-moi plaisir, citez-en d'autres...

lundi 17 mai 2010

Dominique Memmi, lecture ancienne...

Retour aux textes... Car entre chaque manifestation littéraire - occasions pour échanger - il y a ce mouvement continu des textes en nous.

Je repense souvent au texte qui suit (lu dans l'anthologie "Corsica calling"). Je l'écris pour y revenir, avec vous, m'en détacher peut-être aussi (le relisant, de nombreux passages me semblent faibles, ne correspondant pas à mon souvenir enthousiaste, et ce sont les "je me trompais" qui me plaisent le plus, et peut-être les espaces blancs entre chaque morceau de phrase). Je ressens maintenant un attachement diffus, une tendresse estompée, comme pour une forme ancienne de soi-même, une mue. Non ?

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Je rêvais aux pierres de mes enfances.

Marquées de lichen comme de vieilles tâches de peinture verte.

Je leur donnais des noms fantastiques, puisées dans mon imagination.

La vallée de la Restonica creusait ma tête à coup d'interrogations,

Je savais qu'elle ne contenait pas le monde.

Ailleurs j'étais attendue. Je croyais ça.

Les paysages me semblaient irréels,

C'était ailleurs qu'il fallait vivre.

La carte de grands continents se déroulait dans ma tête

Et j'imaginais qu'il fallait faire vite avant que les frontières ne disparaissent.

À 7 ans j'avais choisi une ardoise, une règle et deux petites culottes pour fuir la maison.

Au bout d'un kilomètre j'avais rebroussé chemin, il fallait davantage de préparation.

Ailleurs j'étais attendue, c'était certain.

J'étais attendue, mais jusqu'à quand ?

J'inscrivais sur des feuilles à carreaux les noms de cités étrangères :

Islamabad, Tokyo, Londres ou Paris

Parce qu'à mes yeux Paris était aussi étrangère qu'Islamabad.

Je me trompais.

Ce qui était étranger était bien plus proche de moi.

Ce qui était étrange c'était cette foule haineuse lynchant un légionnaire sur la place Paoli.

Je plongeais alors ma tête dans un oreiller pour ne pas entendre les cris de la foule enragée.

Terrorisée, je gardais, longtemps après, ma tête enfouie dans le coussin.

Ce qui était étrange c'était ces hommes de la nuit jouant à la guerre dans le maquis.

Ce qui était étrange et imprévisible c'était la soudaine montée des eaux du Tavignanu qui emportait chaque année de jeunes campeurs apprivoisés par la beauté du fleuve.

J'étais attendue. Je rêvais de toi.

Je rêvais aux hommes découverts, prêts au meilleur et déroulant leurs noms étranges comme de précieux parchemins.

Je tendais les carreaux de mon coeur pour leurs mains expertes, porteuses de malles et de troublantes amours.

J'étais familière des orages d'été, forçant les troncs d'arbres et donnant aux pavés de la vieille ville des allures de miroirs étincelants.

J'étais familière des contes, dans la chambre que je partageais avec mes soeurs.

Je rêvais de tous.

Des héros de papier, des gens du quartier, des pique-niques l'été à la "Glacière", du prisuttu que ma mère cachait pour ne pas que je sois malade à force de trop en manger.

Je rêvais de tous.

Des longues avenues peuplées de visages étrangers, des tours gigantesques et des terres rouges traversées par de mystérieux personnages en longues tuniques.

J'étais étrangère.

L'hiver nous abandonnions la vallée, froide et humide, aux souvenirs.

Et j'imaginais qu'il s'y passait d'étranges choses.

Je me trompais.

Souvent mon père rentrait tard, je l'attendais.

Ce qui était étrange était si proche de moi.

La carte des lieux de ses nuits m'était incompréhensible et je rêvais aux pays d'aubes perpétuelles, perdue dans l'insularité de mon coeur.

Je plongeais ma tête dans l'oreiller, entêtée à retrouver le sommeil.

Mon père se taisait.

J'essayais de cacher ma colère.

Les hommes d'ici étaient secrets, durs à la tâche et tristes.

Rêvaient-ils d'un ailleurs ?

Le soir ils abandonnaient leurs femmes et leurs enfants pour vivre d'étranges nuits où ils claquaient des paquets de cartes.

Leurs mains expertes frôlaient les tapis verts,

Ils fendaient les carreaux de mon coeur.

Je vivais parmi ces gens ignorant Paris, Londres ou Islamabad, qui ne contenaient en rien leur monde.

Mais ils m'attendaient chaque jour après l'école,

Ils me veillaient chaque nuit alors que j'étais malade.

Je rêvais de la mer, de toute chose inconnue que je croyais parfaite.

Les montagnes m'encerclaient, chaotiques et accidentées,

J'imaginais qu'il fallait fuir pour vivre enfin.

Je me trompais.

Ce qui m'était étranger était en moi.

J'ai cru connaître Londres, Paris ou Islamabad,

Je me trompais.

Je ne suis même pas sûre d'avoir rencontré ceux qui étaient si proches de moi.

La vallée de la Restonica est toujours là,

Je sais désormais qu'elle est ma cité.

Les frontières ont déserté mon imagination

Et l'étrangeté m'est devenue familière.

Je vis parmi des gens qui se déplacent à Paris, Londres ou Islamabad.

Ils croisent à l'infini des lignes imaginaires qui comblent l'espace de leur vie,

Ils croisent aussi leurs rêves d'ailleurs.

Ce ne sont pas des voyageurs, seulement des mélancoliques.

Ils s'éloignent.

Ils se trompent.

Mais il est si difficile d'être proche.

Il fait très chaud dans la vallée et les petites marques de lichen pâlissent sous le soleil.

Je trempe mes pieds dans l'eau verte et glacée et la mer disparaît de mes rêves.

Bientôt c'est l'orage.

À la façon dont le lac s'obscurcit,

On ne peut s'y tromper.


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Nom de dieu, je feuillette à nouveau cette anthologie sublime et je tombe sur un long poème dont le souffle bouscule, un poème de Jacques Biancarelli (allez ce sera pour le prochain billet !)

dimanche 16 mai 2010

Poésie de Jean-François Agostini, suites

Je place ici un échange entre le poète (que je remercie) et moi-même. Bonne lecture ! (Ce billet fait ainsi suite au billet "Poésie corse, entre Tibet et GR 20")

1.

Belle et heureuse coïncidence que celle d’achever l’écriture du centième et dernier poème de mon prochain recueil et de relire deux extraits de l’ancien sur votre blog. Je vous en remercie.

Hésitant entre la prose et le vers j’ai finalement choisi d’allier les deux, je ne suis pas le seul à écrire ainsi en cette longue période de « métamorphose » poétique. Vous aurez remarqué que mes vers sont dodécasyllabiques, ceci afin d’échapper au rythme de l’alexandrin, bien que je l’utilise parfois soit linéairement soit en le rejetant ; j’utilise aussi d’autres mètres.

Le propre de ma poésie est justement l’exploration de mes états successifs de conscience (d’où les espaces blancs) face à un motif de quelque essence fût-il et la volonté esthétique de donner à chaque poème une forme visuelle différente. Je vous livre cela en vrac et pour résumer très brièvement mes expériences, j’ajoute que mes poèmes, pour reprendre la formule de Rimbaud ou à peu près, doivent se lire en tous sens.

Vous avez lu le poème avec la vieille dame et le chien, qui est en fait une réflexion sur l’art contemporain, toujours à partir du réel, sur la revue Décharge.

Je ne commenterai pas le commentaire à propos du cirque de la solitude, commentaire qui me semble très éloigné d’une critique poétique, l’ayant déjà fait plus haut et d’une manière générale.

2.

Je suis d'accord : l'intervention sur la toponymie était impertinent ; cependant
elle fait partie des "façons" de lire votre poème... Est-il possible de savoir
si vous avez fait un choix volontaire avec le nom "cirque de la solitude" ?...
Le choix des noms n'est-il pas important ? Je pense à "San Ciprianu" deux fois
répété ; vous auriez pu en choisir un autre, ou ne pas l'utiliser ou utiliser
une autre graphie (italienne), non ? Est-ce que le rapport aux noms est
important pour vous ?

3.

Reprenons pied sur le réel, comme je crois l’a écrit Nerval dans « Sylvie », un monument littéraire.

De quoi s’agit-il dans ce poème ? simplement de définir l’état poétique, ce qui fait qu’à un moment quelque chose m’entraîne « ailleurs » pour « Gravir l’instant », non pour « m’élever » ou dominer les apparences mais pour y trouver le vide, c'est-à-dire l’absence de contingences et surtout subvertir, un court instant (nous ne sommes que des algues avec du temps n’est-ce pas ?) la conscience de la mort. Ce vide ou blanc permet l’afflux de pensées non contraintes, sans que cela s’apparente à un vain retour au surréalisme, et la naissance du poème.

L’état poétique se manifeste de diverses manières, le déclencheur ou évènement peut être un vocable, une émotion aussi ténue soit-elle, très souvent un fragment de réel, une réminiscence. En l’occurrence il s’agit du Kailash, la lecture du carnet de route d’un ami qui en a fait plusieurs fois le tour, sa dimension spirituelle pour trois « religions » orientales, puis le souvenir d’un poème de Dumenicantone Geronimi « Volta quellu chì và è torna », enfin effectivement le cirque de la solitude que je transforme en grand cirque (dans toutes ses acceptions) des solitudes : notre condition ordinaire. Je vous donne là l’ordre de l’afflux, je n’écris pas de poème de circonstance, ce n’est donc pas un choix volontaire. Idem pour les autres noms ; s’il me vient spontanément une bribe de pensée en latin, italien, corse, anglais je la note ainsi, même chose pour les néologismes, l’absence de majuscules aux noms propres est dictée par un souci d’égalité ce que l’on peut considérer comme une forme d’humanisme, mais ma langue en poésie est le français parce que ma mère m’a appris à lire et écrire en me lisant et en me faisant recopier des poèmes de Lamartine, Gautier, Baudelaire, Rimbaud et bien d’autres. Dernière chose, nous sommes en 2010, comme l’a très bien compris Nadine, mes pensées sont à l’œuvre sur la/les langues actuelles (leur contemporanéité et leur complémentarité) – ce qui n’empêche, parfois, une écriture « archaïque », symboliste ont même dit certains –, ce que vous vérifierez dans mon prochain livre, ceci non pour éventuelle « créolisation » mais bien pour écrire ce que je « sens » en toute liberté à l’image de mon univers.

Autre précision, Char utilisait la mer comme métaphore de l’humanité pervertie, ayant perdue son essence « tellurique » (sa communion avec la terre), ainsi la ligne droite de san ciprianu…

Je ne suis pas sûr d’avoir été très explicite, à la question « qu’est- ce que la poésie » Garcia-Lorca avait répondu, « n’étant pas professeur je ne sais pas, moi j’écris des poèmes ».

jeudi 13 mai 2010

News in furia : des SCOOPS en veux-tu en voilà !

Sò quattru e pezze di teatru bastiacce di Noël Casale... N'aghju vistu trè :

- "Forza Bastia" (magnifica - ghjè u mo parè)
- "Liberty Valance est mort" (m'hè parsu menu forte...)
- "Reprise d'un triomphe" (segondu mè, sò parechji i mumenti bellissimi (u discorsu finale di Ulisse hè fantasticu !) ma a prima parte di a pezza si ripeta troppu)

Marti sera (18 di maghju, teatru di e Bernardines, 21 ore), videraghju "Bastia l'hiver" ! E po parleraghju di e quattru pezze. Ma chì piacè di vede una opera uriginale, cuerenta, comica chì travaglia issa materia corsa !

(Vede quì pè i sfarenti orarii).

Ah oui, avant de finir, DEUX SCOOPS révélés avec l'autorisation de l'artiste, rencontré mardi soir dernier :

- une 5ème pièce bastiaise est en cours d'écriture : "On a payé cher les oursins" (reprenant le personnage de Marc-Aurèle de "Reprise d'un triomphe") ; heureux je fus de voir que l'oeuvre ainsi se poursuivrait...

- les textes de Noël Casale vont enfin être publiés (en 2010 ? en 2011 ?) ! (Pour l'instant seul un extrait de "Forza Bastia" est disponible dans la Revue littéraire (éditions Léo Scheer) : voir billet ici). Aux éditions des Solitaires intempestifs.

- et un TROISIEME SCOOP : "Forza Bastia" sera rejoué à Marseille la saison prochaine (2010-2011) ; une occasion en or de voir et revoir une pièce que je trouve vraiment très belle pour tous ceux qui aiment la Corse, le Sporting, Bastia, le théâtre, la fantaisie au théâtre (celle qui unit en même temps - et pas alternativement - le rire et l'émotion).

Chì pinsate di quessu ?

dimanche 9 mai 2010

Poésie corse, entre Tibet et GR 20

Oh, que ce titre est maladroit ! Inutilement racoleur !

Je veux dire ceci : je repense souvent au recueil poétique "Tyrrhéniennes" (éditions Henry, 2009) de Jean-François Agostini. Notamment, à cause de la présentation faite par Norbert Paganelli, citant trois pages (billet du 2009-11-08), les pages 9, 43 et 59, écrivant : Moins haut que l’épervier, plus haut que l’insecte familier, le poète tisse une toile que nul ne lui a demandée, elle est une denrée aussi rare que fragile, aussi contingente que nécessaire. Un peu comme le lézard, la luciole la fourmi ou l’épervier. Aucun d’entre eux n’est indispensable mais, existant, ils s’insèrent dans un dispositif dont ils ne sont pas les maîtres mais sur lequel ils ne sont pas sans effets. À cause de mes propres lectures, relectures, feuilletages, stations...

Oui, je trouve que la forme trouvée par Agostini pour dire son poème est parfaite : ces espaces entre les mots à l'intérieur des vers-lignes, ces fins de vers qui sont aussi des fins de lignes de prose, cette confusion permanente qui fait que chaque mot peut être un vers, ce petit ensemble de douze lignes-vers quarante-huit fois répété, formant une sorte de journal intime (entre janvier et mai, de l'hiver au printemps), intime et collectif (voir l'abondance des "on"), insinuant l'esprit, le regard et les tentatives verbales du poète dans ses lieux - vers Porto-Vecchio : il est question par deux fois de la "ligne droite de San Ciprianu" - assumant tout, insectes, voiture, oiseaux, mer, routes, montagne, ciels, pluies, cyclotouriste et employé des télécoms...

Je prends beaucoup de plaisir à relire ce recueil (et puis aller voir d'autres formes de poème dans les recueils "Era ora" et "La rive adverse", pour finalement revenir encore au plaisir des 48 douze lignes-vers des "Tyrrhéniennes"). Il me semble que la forme utilisée par l'auteur parvient, un peu comme les poèmes d'Emily Dickinson (d'ailleurs citée dans "La rive adverse") ou les lipolepses de Raymond Queneau à unir le disparate tout en étant jamais clos ; il garde la force de l'informe... C'est cela que j'aime.

Figurez-vous que cela fait une heure que feuillette les 48 poèmes et que je ne retrouve pas celui que je voulais citer : il y est question d'une vieille dame, je crois, qui se baigne avec son chien, dans la mer...

Alors je cite - comme Norbert - le premier poème, qui sert de programme-manifeste, visiblement. Il y est question de "kailash" et de "cirque des solitudes"..., vous connaissez ? Moi non, alors en tapant dans Google, j'apprends que "Kailash" est la montagne sacrée des bouddhistes (au Tibet, 6 714 mètres) et que personne n'est jamais monté à son sommet !! J'apprends que le "cirque de la solitude" (au singulier, au singulier...) est un passage connu du GR 20. Rassurons-nous, ce ne sont ici que des images pour dire l'effort de "gravir l'instant"... ce qui n'est pas forcément plus facile, certes.

Gravir l'instant Cette courte immortalité
entre les mots Ce blanc où rien ne craque ne
s'enfuit de la scansion neuronale avant
le dépôt scripturaire de la phase phrase
face connue du dedans où Poésie bouge
l'air comme une respiration d'éolienne

On donne à ce temps-mort le pouvoir d'un exil
volontaire Ce que ressent le pèlerin
comptant ses pas près du kailash ou du grand cirque
des solitudes quand se consume la nuit
que le jour n'est plus une destination

Se dire que ne pas mourir dure si peu



Et enfin, le poème page 54 :

Cinq mai Le printemps élève les bas-côtés
de la départementale à hauteur de vue
Des batteries de fleurs jaunes mitraillent l'air

L'invasion des papaveri dissimule
le tribut touristique de l'an passé

Le broyeur de la d d e définira
de nouvelles marges au bitume couvrant
de fragments de pétales de flyers de canettes
à bulles et autres enjoliveurs les pistes
parallèles recyclables en cloaque à
la première averse Une mare à tout durable

Nos reflets s'y noieront à portée de vessie


(Désolé, ma transcription ne respecte pas les blancs internes aux vers-lignes !! Il faut que vous alliez voir sur le site de Norbert Paganelli, voir lien plus haut, pour vous rendre compte de la vraie forme - que c'est ironique... ; ou achetez le livre !)

Pour finir, et dans un joyeux bric-à-brac :
1. un poème de Dickinson
2. un lipolepse de Queneau (plus tard, plus tard...)
3. un lien vers une vidéo de randonnée dans le cirque des solitudes (couper le son et ne pas faire attention aux effets visuels du montage)

1.

Such is the Force of Happiness -
The least - can lift a Ton

Assisted by it's stimulus -


Who Misery - sustain -

No sinew can afford -
The Cargo of Themselves -

Too infinite for Consciousness'

Slow capabilities.


Telle est la Force du Bonheur -

Que le Moindre - ainsi stimulé -

Peut soulever une Tonne -


Qui le Malheur - entretient -

Ne peut avoir de Nerf -

Trop infini Son propre Fret

Pour les lentes capacités

De la Conscience.


(traduction de Claire Malroux, in "Une âme en incandescence", José Corti, 1998).
Et vous, peut-être avez-vous fait d'autres lectures de toute cette poésie ?!

samedi 8 mai 2010

Ce texte est introuvable

Sauf par hasard...

Il s'agit d'une tragédie écrite par Marie-Jean Vinciguerra : "Don Petru" (je l'évoquais déjà, lors d'un précédent billet). Publiée en 2006. Sans nom d'éditeur et avec un numéro d'ISBN. Mais où peut-on se procurer ce livre (je parle pour ceux qui aiment se tracasser l'esprit avec la "littérature corse", bien sûr...) ? Nulle part, sauf erreur de ma part (sinon en tombant par hasard sur la chose, parce que vous furetez dans un rayon corse d'une librairie insulaire...

Loin de moi l'idée que tous les livres publiés en Corse méritent d'être relus et sont également bons ! Personne ne le dira, bien sûr. Mais si on ne fait pas en sorte que le catalogue exhaustif et permanent des publications corses soit connu et accessible, comment espérer que certaines de ces publications soient reconnues comme les plus intéressantes, les plus riches ? Ou mieux encore comment espérer que l'on puisse en discuter ?

L'auteur me demanda de préfacer l'ouvrage, alors j'offre ici la possibilité de lire cette préface (à l'origine conçue comme une postface) ; peut-être que vous aurez envie de feuilleter le livre dont vous aurez vérifié que votre librairie préférée en possède un exemplaire oublié ? Et peut-être que vous aurez envie de faire part de votre lecture personnelle ? Peut-être ?...

DON PETRU ou Les derniers feux de la Parole

La voix de Don Petru vient de s'éteindre. Reprenons-la.

La lecture de cette pièce de théâtre de Marie-Jean Vinciguerra offre bien des plaisirs ; je voudrais simplement signaler ici l'importance de certains d'entre eux.

Il y a d'abord le plaisir de la reconnaissance, l'impression très agréable de retrouver cette forme artistique bien connue qu'est la tragédie. Rien n'y manque : les héros bourreaux d'eux-mêmes, la force collective du destin, la mort inévitable, l'impression d'un saccage extraordinaire, jusqu'à la présence des choeurs antiques (deux vieux sur un banc, trois vieilles sur leur chaise) expliquant le passé et laissant présager le pire. La famille Bonavita est condamnée depuis toujours, nous le savons dès les premiers mots de cette étrange Voix off qui commente ainsi le premier son - le vent - qui, avant toute parole, intervient sur scène :

Le vent jette ses griffes sur la mer.
S'annoncent les jours arides
Bourrasque et ciel noir.
Mauvais présage.

La tragédie a déjà commencé et elle s'accomplira.

Mais le plus intéressant est peut-être de découvrir qu'elle a déjà eu lieu. En effet, l'histoire présentée ici n'est pas seulement une énième version de l'honneur restauré par la vengeance ou de l'amour impossible et humilié, cette histoire serait trop simple et se résumerait ainsi : Don Petru Bonavita tue le berger du village car celui-ci a séduit - et abandonné - sa soeur Francesca autrefois mais encore la jeune et belle Angèle aujourd'hui, jeune et belle femme aimée en secret par Don Petru. Des choses humaines en somme, et qui ont leur poids, mais qui lorgneraient ici du côté des stéréoptypes. Or la pièce de M.-J. Vinciguerra a une autre ambition, et tire sa force notamment d'un ancrage historique aussi discret que précis. Car Don Petru est la tragédie d'une certaine Corse qui n'en finit pas de mourir. L'intrigue se déroule dans les années 1950, Don Petru a 50 ans, il a donc pu naître en 1900 d'un père déjà âgé, puisque son grand-père construisit le portail de l'église de Vezzani en 1813 : "Orsu Dumenicu Bonavita fecit 1813", c'est Orsola qui le rappelle avec admiration. C'est une famille marquée du sceau de l'âge et ce mot le dit bien, plusieurs fois répété : "Nous sommes vieux avant l'âge." Car si les enfants tardaient à venir pour les père et grand-père, ils manquent à l'appel pour le fils et ses deux soeurs. Vieille famille, vieux garçon, vieilles filles. L'Histoire a ici officié : si l'absence des parents de Don Petru n'est pas clairement expliquée (peut-on imaginer que la première Guerre Mondiale ait joué un rôle ?), c'est bien la seconde Guerre Mondiale qui a exilé pour un temps le frère, laissant deux soeurs à la merci de la bienveillance et du charme infidèle du berger lucquois. Toutes les cartes ont ainsi été brouillées : le frère est devenu le père de ses soeurs qui sont devenues ses servantes, en attendant vainement d'être des tantes, des zie. Confusion qui trouve son origine dans une perte de la puissance de vie, de la puissance érotique, de la force du désir. La possibilité de se donner, de se transmettre, et de se perdre, par amour a été refusée au trio Bonavita.

De là découle le divorce entre chacun de ces personnages, unis dans le malheur, mais profondément séparés les uns des autres, solitaires, profondément éloignés d'eux-mêmes aussi et de leurs rêves intimes : Petru est un "sanglier" incapable d'une parole affectueuse même avec Angèle, Francesca rumine son passé malheureux et incarne la nécessité sourde de la vengeance, Orsola ne laisse qu'entrevoir son désir d'enfant et son rêve d'amour avec le berger, passion inconnue de tous jusque dans la dernière scène. Et voilà peut-être un des sens les plus forts de cette tragédie : la société corse symbolisée par la famille Bonavita est incapable d'amour. Elle s'étiole dans des jeux de pouvoir (il faut reconquérir la mairie, plaire au député, au curé) qui ne créent aucune fidélité réelle, ennuient les jeunes générations et ne servent que de divertissement, au sens fort du terme, pour supporter le fait que le village soit en train de devenir un néant. Elle conserve, sans sincérité, les croyances passées dans les signes et les présages. Elle s'arcboute sur les valeurs de l'honneur et donc de la vengeance en exaspérant une haine de l'étranger (ici l'Italien), à travers la figure du berger, ou lorsqu'Orsola ose énoncer l'hypothèse que les Bonavita aient pu avoir un ancêtre italien. C'est Don Petru lui-même qui en fait le constat cruel et radical à la fin de la pièce : "J'ai tout perdu pour avoir misé sur l'honneur. J'ai craché toute ma salive. Ma bouche est amère."

La pièce de M.-J. Vinciguerra nous plonge donc au coeur d'un tragique qui ne doit pas être compris comme la manifestation de la mort punissant les fautes et les déshonneurs mais ainsi que le dit lui-même l'auteur dans un autre de ses ouvrages comme "l'absence d'espérance et la perte de la dignité.(1)" La famille Bonavita n'espère plus vraiment quoi que ce soit et perdra sa dignité dans un comportement mortifère. Il est significatif qu'une deuxième mort intervienne en fin de pièce et que cette mort violente soit un suicide, motif rare dans notre littérature. Un coup de feu conclut la pièce : "Don Petru, nouveau roi sans divertissement ou Dionysos raté incapable de revivifier la société avec son vin, s'est enfin rendu justice, car depuis longtemps déjà leur maison est un "caveau".

Alors que reste-t-il à la fin des fins ? Cette pièce est-elle entièrement sombre ? Il le semblerait car même la nature s'est liguée contre les Bonavita : l'eau, la foudre et le vent de la tempête (acte I) ainsi que l'incendie avec ses cendres (acte III) encadrent fortement l'oasis d'une matinée ensoleillée dans l'acte II. Mais on peut trouver une cohérence plus forte dans ces réalités naturelles : c'est le feu (foudre, soleil, incendie) qui prédomine, jusqu'au coup de feu final. Le feu du désir (Angèle a "les cheveux pleins de soleil") que ne sauront pas maîtriser les Bonavita et qui deviendra auto-destructeur. Or ce feu est aussi celui de la Parole, la parole créatrice, porteuse de cette vie que l'art peut rendre aux hommes, notre auteur en est convaincu.

Don Petru n'est pas qu'une tragédie rénovée, un constat amer de la déliquescence d'une société, c'est aussi un chant, un entremêlement magnifique de voix qui procure un plaisir au moins aussi grand que son intrigue. Et il ne s'agit pas ici d'une remarque qui n'engagerait que la forme de l'oeuvre. L'écriture est la clé qui permet de dépasser le simple constat. Dans un article ancien, l'auteur expliquait déjà : "L'écriture, poème, roman, théâtre est sacrifice, acte de régularisation, ritualisation de la violence première. (...) Procédure d'expiation, de liquidation et de sublimation(2)." Une telle cohérence entre ces propos et cette pièce de théâtre nous commande aujourd'hui de considérer l'ensemble des écrits de M.-J. Vinciguerra dans leur profonde unité : la quête du salut par le Verbe.

On peut imaginer le parti que tirera un metteur en scène de cette pièce de théâtre pour proposer - loin de tout réalisme - un rêve éveillé, un cauchemar volontaire, fulgurant et fascinant, un huis-clos presque permanent et étouffant : de ce point de vue on remarquera l'évocation par Orsola d'une "fable" elle-même fascinante et à l'atmosphère étouffante, déjà évoquée dans La veuve de l'écrivain, et dans laquelle un homme, Anghjulu, séduit les trois femmes d'une maison qui le laisseront pourtant agoniser dans la cave où il allait chercher du vin. Mais la simple lecture du texte suffit pour apprécier la puissance et l'importance de la Parole unique tissée par les personnages, les choeurs et cette étrange Voix off (une survivance de la voix d'un narrateur ou du poète ?). La diversité des tons et des échanges, des dialogues prosaïques ou mesquins jusqu'aux pseudo-monologues rêveurs en passant par le voceru d'Orsola, les psalmodies et commentaires des vieux et des vieilles, cette diversité est marquée par une même pratique de la formule. Choeurs, Voix off et personnages cherchent la concision, l'expression nette, définitive ; ce qui ne les empêche guère de ses contredire ou de se répéter... Cependant la quête de la formule est bien le symbole de la valeur accordée à la Parole, ou au moins à l'effort - souvent douloureux - qui tend à atteindre la Parole. Ainsi de la Voix off :

Le torrent de feu dévale
Le vent s'y jette.
Les yeux furieux de l'incendie
Tourbillonnent.
Les langue de feu
Lacèrent les arbres.
Les nuages noirs rougeoient.
Le ciel dans ses forges
Apprête l'éclair de la vengeance
Et les larmes des femmes.

Petite forme, rituel magique tentant de raccommoder ce qui se déchire, le texte théâtral trouve ici sa fonction et devient l'acteur final de la tragédie, la force qui transforme l'échec en victoire, qui unit les proverbes du passé et les échappées lyriques d'une poésie plus elliptique, les rancoeurs ressassées et les rêves interdits (la mer - et ses îles - contemplée par Don Petru, par exemple ; Don Petru, personnage le plus fascinant de la pièce par le nombre très important de contradictions brutales qui le constitue), la violence et l'affection, la société qui meurt et celle qui se prépare. Le texte de Don Petru trouve ici toute son originalité et sa beauté, tout en manifestant l'harmonie de l'ensemble de l'oeuvre(3) de M.-J. Vinciguerra. Car notre auteur est d'abord un poète, certes amoureux du théâtre mais du théâtre de la Parole et dont même le roman autobiographique, consacré à une figure de dramaturge, est d'abord sous-titré "confession poétique".

La Parole de Don Petru vient de s'exclamer. Accueillons-la.

Notes :
1 - "La veuve de l'écrivain", éditions DCL-Sammarcelli, 2005
2 - "Le théâtre du sacrifice", issu du séminaire "La Corse et la folie : le sacrifice" (Bastia, novembre 1985), éditions Sammarcelli, 1987.
3 - Cohérence d'une oeuvre commencée en 1965 et que Marie-Hélène Ferrandini met en évidence dans sa préface au recueil de poèmes "Marines sauvages", éditions Albiana, collection E Cunchiglie, 1997. Notamment à travers la figure de "l'ange", très présent dans les poèmes, dans le roman "La veuve de l'écrivain" (Angelo, l'homme qui séduit les trois femmes, notamment) et dans notre pièce avec les prénoms d'Angèle et d'Anghjulu...

L'eau à la bouche...

Très rapide billet, ce matin, avant de partir dans une demi-heure pour aller voir la pièce de Noël Casale, "Liberty Valance est mort", au théâtre de la Minoterie (quartier de la Joliette, Marseille).

Pour dire ceci : la littérature corse est faite de livres invisibles, c'est-à-dire inaccessibles (et je n'ai pas dit illisibles !).

Trois exemples :

- hier soir (vendredi 7 mai 2010, théâtre des Bernardines, Marseille), j'ai vu "Forza Bastia", une des quatre pièces bastiaises de Noël Casale... Je reviendrai dans un autre billet sur ce que j'ai ressenti et pensé (très rapidement : j'ai été intéressé, amusé, puis au milieu de la pièce très surpris, très agréablement surpris, secoué par le rire, et des émotions aussi, mais surtout finalement complètement enthousiasmé par la FANTAISIE - ah, Noël Casale jouant l'ours blanc qui regarde jongler Orlanducci au pôle Nord, dans un paradis bleu et blanc... - voilà, très brièvement : la pièce est encore jouée une fois ce soir, si vous pouvez, ne ratez pas la "chose", c'est une vraie performance d'acteur et je suis sûr que la pièce que vous verrez ce soir sera légèrement différente de celle que j'ai vu, tant l'improvisation a sa part dans le travail de Casale). OR, comme je le disais dans un précédent billet, nous n'avons pas le texte de cette pièce... Seule la première partie a été publiée (voir également billet précédent). Nous (je parmi vous) réclamons la publication, ou un quelconque accès au textes des pièces de théâtre de Noël Casale !

- j'apprends par Cuurdinazione corsa (liste de diffusion d'informations corses) qui relaie un article du Corse Matin que les éditions Alain Piazzola publient les "Raguagli" du XVIIIème siècle (le journal officiel de l'état corse du temps de Paoli), un livre de Petru Casanova ("Motti", un "glossaire en langue corse des activités traditionnelles"), et un recueil des chroniques littéraires de Marie-Jean Vinciguerra. Excellent !!! Mais les éditions Alain Piazzola n'ont pas de site internet, il faut donc que j'appelle l'éditeur pour commander les ouvrages, sans avoir la possibilité d'en prendre connaissance, de les "feuilleter" sur le Web, etc.

- enfin, la publication aux éditions A Fior di Carta de "Pierres Anonymes / Petre Anonime" du collectif "Operata Culturale", j'en ai été informé par les sites Corsicapolar, Isularama, Invistita, dont les animateurs sont impliqués dans la fabrication de l'ouvrage. Ouvrage de création et de réflexion, issu du Manifeste de Luri, dont ce blog s'était fait l'écho. Démarche passionnante, à discuter et qui a été discutée, mais démarche passionnante puisque déjà elle aboutit à un livre. Mais où le trouver ? Invisible sur le site de A Fior di Carta. Sauf erreur de ma part.

TOUTE LA LITTERATURE CORSE (et plus largement toutes les publications corses) DOIVENT ETRE DISPONIBLES SUR LE NET !


Non ?

dimanche 2 mai 2010

Anne Carrols lit Marie Ferranti...

Voici une des conséquences du Club de lecture du 23 avril dernier : un récit de lecture de "La chasse de nuit" de Marie Ferranti par Anne Carrols, qui participa à cette rencontre, acheta le livre en question, le lut et m'envoya fort gentiment le message suivant... Bonne lecture ! Peut-être ne serez-vous pas d'accord avec elle ?

Salut François,
je viens de lire le livre de Marie Ferranti, La Chasse de nuit, et je me suis régalée : j'ai tout lu d'un trait avant-hier soir et, depuis, cette histoire me trotte dans la tête. Bon, c'est sans doute mon côté amatrice de sagas romanesques qui m'a tenue ainsi en haleine, avec la rivalité des familles, la passion dévastatrice qui se greffe par-dessus, et l'attente de savoir quand et comment la prédiction va se réaliser. J'ai attendu impatiemment les trois dernières pages dont tu disais qu'elles donnaient rétrospectivement tout son relief et sa valeur au roman. Je ne sais pas ce que tu y as lu, mais c'est vrai que toutes les attentes du lecteur de base dans mon genre, avide de suspense et de révélations, y sont détournées ; et j'ai été confortée, avec ce dénouement, dans l'impression que j'avais eue tout au long de la lecture, à savoir que cette histoire de mazzeru, de chasse et de prédiction n'est qu'un moyen de nous parler d'autre chose, une évolution et une rupture, dont je n'arrive pas à comprendre en fin de compte si elle est positive ou négative.
J'ai l'impression que ça dépend de l'échelle à laquelle on se place : à l'échelle individuelle du personnage, ça ressemble à une ouverture au monde, à la mer et à la joie de vivre aux côtés d'une femme solaire qui l'a finalement extirpé de ses rêves nocturnes, de sa mélancolie, de son attrait obscur pour Lisa, de son obsession de la mort ; il redécouvre son île sous un jour différent, qui n'est plus celui de l'intérieur des terres, du village et du bois, mais de la ville et de la mer, c'est-à-dire l'île insérée dans le monde et raccordée à la modernité, où les croyances n'ont plus cours et la pensée de la mort est complètement évacuée.
Mais à l'échelle de l'île, ça ressemble à la fin d'un monde, une société qui se dépeuple et disparaît, un attachement à la nature et au passé qui se perd, des liens humains qui se défont : c'est le constat que font à plusieurs reprises Agnès ou Mattéo d'une dénaturation, d'une perte de substance au profit d'une modernité qui rime plutôt avec superficialité et même cupidité (le destin de Petru Zanetti est, à cet égard, emblématique : pourfendeur de ce qu'il regarde avec hauteur comme supersitition et ignorance, représentant autoproclamé du progrès, il finit par quitter l'île pour se jeter dans la corruption du monde dans ce qu'elle a de plus dégoûtant, les trafics menés pendant la guerre).
Bon, sinon, cette figure du mazzeru reste encore mystérieuse pour moi : par exemple, je n'ai pas réussi à comprendre pourquoi la confession publique transformait Mattéo en paria au lieu de le réintégrer dans la communauté alors qu'il renonçait à ses pouvoirs inquiétants. Mais c'est vrai que c'est une figure intéressante, au croisement d'une foule d'interrogations sur le rêve et la réalité, la culpabilité et l'innocence, la vie et la mort. J'ai bien aimé la tonalité qu'utilise le mazzeru pour faire son récit, tout en mélancolie discrète, avec cette préoccupation constante de la mort, du souvenir des morts, du lien qu'on continue à entretenir avec eux, que ce soit par les affaires qu'ils ont laissées, les habitudes qu'on garde après leur mort, les carnets paternels, les échanges que Memmu continue à avoir avec sa femme, les anciens dont les noms et la vie ont marqué durablement la communauté ; et puis, en même temps, cette conscience que ce qui reste d'eux est dérisoire. Tellement dérisoire qu'à la fin, c'est la conscience de l'absence irrémédiable qui l'emporte sur la sensation d'une présence qui se perpétuait sous la forme surnaturelle des esprits ; et cette absence totale et définitive dont Mattéo prend conscience remet en cause la réalité même de son existence. C'est à la fin, lors de la chasse de printemps qui n'a finalement pas lieu parce qu'il n'est plus mazzeru : il attend en vain les âmes errantes, il se souvient des paroles d'Agnès, "ils sont tous morts", et il a alors l'impression que toute sa vie n'est qu'un songe. Ca c'est un passage fort, qui aide à comprendre que, dans cette histoire, le fait d'être mazzeru est avant tout une certaine façon d'exister en lien étroit avec le souvenir des morts, avec la menace constante de la mort, et aussi avec les rythmes de la terre et la compagnie des animaux, que ce soit les chevaux ou le gibier. C'est un mode de vie à la fois apaisant et austère, sain et angoissant. C'est avec tout ça que rompt Mattéo, et comme ça se fait finalement sous l'égide de Caterina, (et non plus sous le prétexte trouble de reconquérir Lisa) ça s'apparente à un retour à la vie. Mais pour la communauté qui, elle aussi, a voulu rompre avec son mazzeru et ce qu'il incarnait, ça n'est pas si simple.
Bref, voilà, tu voulais un "avis extérieur" et voici une avalanche d'impressions. Désolée pour la longueur ! Merci beaucoup de m'avoir fait découvrir cette figure passionnante et aussi cet auteur. Du coup j'ai commandé un autre ouvrage d'elle, qui n'a plus rien à voir avec la Corse cette fois et qui me ramène plutôt à la Renaissance ("La Princesse de Mantoue").


Voici les références du passage que je retiendrais, vers la fin du roman, après la mort de la vieille Agnès, une fois que Mattéo a renoncé publiquement à ses fonctions de mazzeru : p. 178 "Je ne garderai pas cette maison" jusqu'à la p. 180 "Je la haïssais" :


- Je ne garderai pas cette maison ; je la donne à Dorothéa, ce qui la mettra à l'abri du besoin s'il m'arrivait malheur.
- Tu n'as que ce mot à la bouche, dit Petru. J'en ai assez de ce pays de sauvages. Ici, les gens sont tous comme toi, fatalistes, résignés, superstitieux. Je m'en vais. Nous partons cet été pour le continent. J'ai acheté un cabinet à Marseille. J'ai été stupide de revenir. À propos, je vends Goloso, si ça peut t'intéresser.
- Que veux-tu que j'en fasse ?
- Je n'en sais rien. Je te le dis à tout hasard."

La mort d'Agnès m'avait lavé de la honte. Je ne songeais plus à me cacher. J'errais dans le village pendant des heures. je connaissais chaque maison, me disais à voix basse le nom ou le surnom de ceux qui les avaient habitées : "Jean, fils de Jules, fils lui-même de Jean le sourd ; Marcu le beau, époux d'Ignazia la folle..." En ressassant cette litanie de noms perdus, tout un monde me revenait à la mémoire et les volets cassés, les portes branlantes, les façades décrépies s'effaçaient. La rue s'animait. Je me rappelais les femmes, au printemps, armées d'un gros pinceau, qui badigeonnait à la chaux l'encadrement des portes, et les jours de grand vent, les draps qui claquaient, étendus sur une corde à linge le long du mur, sous les fenêtres du premier étage, les meubles noirs polis qui embaumaient la cire, les petits pains fourrés d'anchois que les femmes partageaient, à midi, sur le pas de la porte. Je rentrais à Torra nera la tête pleine de bruits et de fantômes.
Dorothéa me servait le dîner et s'éclipsait. Je ne supportais pas de rester seul, j'allais voir Memmu.
"Je ne fais rien de bon, disait-il.
- Il y a les chevaux et la chasse.
- Oui, les chevaux, il faudrait les monter, et la chasse, je n'ai plus envie d'y aller, mais vous-même ne faites plus rien et n'y allez plus.
- Il n'y a plus de chasse, Memmu. Je ne vois plus rien."
Nous disions toujours la même chose. Un soir, Memmu me dit qu'il n'était pas utile de voir quelque chose pour aimer chasser. Nous cessâmes d'en parler.
Memmu me demanda la permission de vendre les chevaux : "Je ne suis plus capable de m'occuper de rien, ni d'eux ni de moi-même", dit-il.
Je ne voulus pas de l'argent qu'il en tira : "Donne-le à Dorothéa. Donne-lui aussi les clés de la maison d'Agnès. Qu'elle s'en aille. Cette fois, je suis résolu à ne plus la voir."
Dorothéa demanda à Memmu de lui laisser un peu de temps. Je le lui accordai. Je ne retournai pas dans la maison d'Agnès et, plus tard, quand Dorothéa l'habita, j'évitais de passer devant.

La grande chasse de nuit du printemps approchait. Comme chaque année, je me préparai et, à la nuit tombée, allai sous le grand chêne blanc, près de la rivière. Il n'y eut pas de chasse cette nuit-là. J'attendis pendant des heures aux aguets, surveillant le ciel, guettant les signes, à l'affût du moindre bruit. En vain. À l'aube, j'entrai dans la rivière jusqu'à la ceinture. Je tapai l'eau de toutes mes forces avec la mazza pour en éloigner les âmes errantes. J'étais trempé. Je m'assis sur la berge, transi de froid. Je regardai l'eau grise ; la rivière semblait se refermer sur elle-même. Je me rappelai les paroles d'Agnès : ils sont tous morts, Mattéo. Ma vie entière m'apparut alors comme un songe. Je fus pris de vertige et perdis connaissance. Ce fut l'eau glacée qui me fit revenir à moi. Je n'étais plus mazzeru. Autour de moi, il y avait le silence de l'aube et ce silence me bouleversa plus que des cris des sorcières de Foscolo. Je n'étais plus moi-même. Je n'existais plus. J'enrageais contre Lisa. Tout était sa faute. Je la haïssais.